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pour établir cette origine orientale ne me semblent pas convaincantes, je reconnais du moins qu’elles sont pleines d’agrément et d’intérêt, et mettent sur la voie de plusieurs vérités importantes.

M. Delécluze traduit d’abord un fragment fort étendu d’un roman arabe intitulé Antar, écrit par un célèbre poète et médecin de l’Irak vers 1145. Cette composition offre, en effet, plusieurs caractères chevaleresques non équivoques. Le héros, né d’une esclave, s’élève graduellement au premier rang des chefs par sa vertu, sa bravoure, ses talens poétiques, et surtout par l’amour passionné, tendre, durable, qu’il inspire à une jeune princesse. Dans ce roman, il y a des combats singuliers soumis à de certaines règles ; les épées et les chevaux ont des noms ; il y a des femmes guerrières qui ne consentent à donner leur cœur qu’après avoir éprouvé, dans plusieurs rencontres et l’épée à la main, la force et la valeur de leurs amans.

Ce n’est pas tout : M. Delécluze s’applique à faire ressortir dans un poème persan plus ancien d’un siècle, dans le Schah-Nameh ou Livre des rois, une fable et des mœurs qui n’ont pas moins que celles d’Antar le caractère chevaleresque. Roustam, le héros de cette épopée, possède un cheval doué d’un instinct surnaturel. Lui-même est le défenseur dévoué de son souverain. On dirait une sorte de chevalier-maire du palais. Le roi en tutelle, séduit par le récit qu’on lui a fait d’un délicieux royaume imaginaire, tombe dans un piège que lui ont tendu des monstres-fées, proches parens de notre Mélusine, et, comme elle, demi-serpens et demi-magiciens. Pour délivrer le roi captif, Roustam doit surmonter sept obstacles et accomplir sept travaux. Peu s’en faut qu’il n’échoue dans cette entreprise, séduit par les artifices d’une fée qu’il force à reprendre sa forme monstrueuse en lui faisant entendre le nom de Dieu. Le roi délivré, mais incorrigible, imagine d’aller visiter le ciel. Il part pour ce judicieux voyage dans une nacelle que quatre aigles emportent dans les airs. Nouveaux périls et nouveaux secours. De plus, le Livre des Rois, comme le roman d’Antar, est rempli de combats singuliers assujettis à des lois courtoises. Enfin on y voit aussi des femmes qui combattent sous l’armure et le casque. Tous ces traits ne rappellent-ils pas les romans de la Table-Ronde, Amadis, et le poème même de l’Arioste, tous remplis, comme on sait, d’enchanteurs, de dragons, d’hippogriphes, de Mélusines, d’Armides et de Clorindes ?

M. Delécluze s’étonne, après beaucoup d’autres, de ces ressemblances singulières, et ne paraît pas éloigné d’en conclure que la chevalerie nous est venue de la Perse par une voie encore inconnue. Pour moi, je ne pense pas qu’il y ait tant à s’émerveiller de voir à peu près à la même époque poindre et se développer l’esprit et les mœurs chevaleresques en Asie et en Europe. Comment expliquer ce synchronisme, dira-t-on ?

Par un fait presque identique. On a depuis long-temps reconnu la parenté de l’ancien idiome de l’Inde (le sanscrit) avec les langues grecque,