à terre ? Oh ! nous pouvons plaindre la douce et belle France. De combien de nobles vassaux la voilà maintenant privée ! Ah ! roi ami, que n’êtes-vous ici ? Frère Olivier, comment pourrons-nous faire ? Comment nous y prendre pour donner de nos nouvelles à Charles ? » Olivier dit : « Je n’en sais rien ; mais il vaut mieux mourir qu’il soit dit quelque chose de honteux de nous. » Aoi.
STROPHE 127. — « Eh bien ! dit Roland, je ferai retentir mon olifant : Charles, qui passe le port, l’entendra, et je vous garantis que les Français reviendront sur leurs pas. » Olivier dit : « Ce serait une grande honte et que l’on reprocherait sans cesse à vos descendans. Quand je vous ai dit de corner, vous n’en avez rien voulu faire, et, si vous l’essayez à présent, ce sera sans succès. Vous ne pouvez plus faire sonner votre olifant assez fort : vos deux bras sont déjà tout sanglans. » Le comte répond : « J’ai donné de nobles coups ! »
STROPHE 128. — « Notre bataille est terrible, dit Roland ; je cornerai, et Charles entendra. » - Ce ne serait pas d’un bon chevalier, reprend Olivier[1]. Quand je vous l’ai demandé, vous ne daignâtes pas le faire… Par cette mienne barbe, si je pouvais revoir ma gente scieur Aude[2], vous ne coucheriez jamais entre ses bras ! » Aoi.
STROPHE 130… L’archevêque Turpin pique son cheval de ses éperons d’or et accourt : — « Sire Roland, et vous, sire Olivier, pour Dieu ! ne vous querellez pas ! Ce qui peut nous arriver de mieux, c’est que le roi vienne et nous venge. Ceux d’Espagne ne doivent point s’en retourner contens. Pour nos Français, ils descendront de cheval, et, nous trouvant morts et taillés en pièces, ils chargeront nos bières sur des chevaux de somme, et nous enterreront dans l’enceinte des monastères[3]. Ni loups, ni porcs, ni chiens, ne dévoreront nos corps. » - « Sire, dit Roland, vous dites très bien. »
STROPHE 131. — Roland a porté l’olifant à sa bouche ; il le tient ferme et en sonne de toutes ses forces. Les monts sont hauts et la distance est grande. Cependant le son fut entendu à trente grandes lieues. Charles l’ouit, ainsi que tous ses compagnons. — « Ah ! dit le roi, nos hommes se battent ! »… Aoi.
STROPHE 132.- Non sans de grands efforts et de grandes douleurs, le comte Roland faisait sonner son cor. Un sang clair sort de sa bouche, et les veines de ses tempes sont près de se rompre. Cependant l’olifant retentit avec force, et Charles, qui passe le port, l’entend : le duc Naimes et tous les Français l’écoutent.
- ↑ Cette strophe est une répétition de la précédente. On a déjà vu et l’on verra encore dans la suite une même idée reproduite, avec très peu de changemens, dans plusieurs couplets consécutifs. D’habiles critiques, M. Fauriel notamment et M. Du Méril, regardent ces répétitions comme des leçons diverses réunies et juxta-posées par les copistes. Quelques-unes ont tant de grace, qu’elles me semblent, comme ici, être l’œuvre du poète, et ne pouvoir être attribuées ni à la négligence ni à la volonté du calligraphe.
- ↑ Aude était la fiancée de Roland. Son nom est écrit dans le manuscrit de la Bodléienne Alde, qui, je crois, se prononçait Aude, comme Albe, Aube ; palme, paume ; healme, heaume, et d’autres, tels que Roncevals, Roncevaux, etc. — On lit Aude dans le texte de M. Bourdillon, composé sur des manuscrits un peu plus récens et dont la langue est partout adoucie.
- ↑ Ou « des églises, » car le mot du texte a les deux sens.