Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A son tour, l’innovation toute seule, une innovation aventureuse, irréfléchie, qui perdrait de vue le sol natal et romprait tout lien avec l’esprit des aïeux, livrerait la pensée allemande à l’influence d’un génie qui n’est pas le sien. L’Allemagne devenue voltairienne nous ferait médiocrement honneur. Puisse-t-elle nous emprunter quelque chose de notre esprit, le sens droit, la netteté des vues ! Puisse-t-elle prendre chez nous un attachement sincère aux grands principes du monde moderne, aux saintes conquêtes de 89 ! Mais qu’elle garde toujours, dans l’expression de ses sentimens, dans sa poésie et dans ses arts, la forme qui lui appartient. Il n’est pas bon que les peuples changent de costumes, ils porteront toujours gauchement l’habit de leur voisin. Nous blâmerions celui de nos poètes qui se ferait allemand ; pouvons-nous accepter au-delà du Rhin les poètes et les romanciers qui copient maladroitement l’esprit français ? Nous cherchons l’originalité, cette précieuse fleur de l’art, dont la semence périt chaque jour dans ce sol européen si battu par les communications des peuples. En est-ce fait ? Ne pourra-t-elle renaître ? Elle renaîtra, si l’écrivain, sans renoncer aux idées de son siècle, conserve la tradition, l’esprit vivant de la patrie. Elle renaîtra dans le champ le plus humble, dans un petit coin de terre, à l’ombre d’une haie d’aubépines, et c’est pour cela que j’ai insisté sur l’heureuse tentative de M. Berthold Auerbach.


SAINT-RENE TAILLANDIER.