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que la dialectique des conseillers doit venir en aide à l’imagination des inventeurs. M. Wienbarg l’avait soupçonné, il y a dix ans, dans ses Batailles esthétiques ; puisqu’il s’est découragé trop tôt, continuez son œuvre et accomplissez son programme. Alors cette originalité que nous cherchons en vain ne pourrait-elle pas renaître ? Et si ce guide futur à qui je m’adresse, sympathique au mouvement libéral, pénétré d’un intelligent respect pour les beaux monumens poétiques de son pays, parvenait à diriger habilement dans cette voie les travaux des écrivains, ne remplirait-il pas un office à la fois politique et littéraire ?

Je ne sais si je m’abuse, mais cette espérance ne me paraît pas trop ambitieuse. Le rapide succès d’un recueil charmant que je suis heureux d’annoncer me confirme dans mon opinion. Les Scènes de village de M. Berthold Auerbach indiquent nettement, par une gracieuse expérience, ce que j’entrevoyais tout à l’heure ; elles montrent quel charme il y aurait à unir dans une juste mesure le sentiment des temps nouveaux et le culte des traditions du pays. Ce livre, publié en 1843, a déjà eu plus d’une édition ; on l’a lu et relu avec bonheur ; c’est le succès le plus franc et le plus complet que nous offrent ces trois dernières années. Nous n’avons pas à protéger une œuvre inconnue ; nous voulons seulement en expliquer le succès, faire connaître à la France un conteur original, et tirer de cet exemple aimable des conseils, des espérances, utiles peut-être à la critique, et que nous adressons amicalement à nos confrères d’Allemagne.

Quel est le sujet du livre de M. Auerbach ? La vie des paysans de son pays, la peinture de la pauvre commune perdue, dans la forêt, les mœurs rudes, naïves, du laboureur et du bûcheron ! Nous quittons, et Dieu en soit loué ! le boudoir de la comtesse Hahn-Hahn, les salons de M. de Sternberg, et tout ce monde équivoque où la jeune Allemagne prêchait, comme on dit, la réhabilitation de la matière. Cette société fausse, guindée, si peu réelle, si peu allemande surtout, nous en voilà délivrés ! Je ne sais quel souffle embaumé me vient au visage ; c’est une bouffée de printemps, un air pur et vivace qui a passé par la ferme, au-dessus des sillons fraîchement remués, à travers les chênes de la Forêt-Noire ? Je me rappelle aussitôt quelques-unes des œuvres gracieuses que l’Allemagne a déjà produites, et je renoue la chaîne de ces aimables traditions poétiques. Goethe, qui a touché à tout, n’avait-il pas indiqué dans Hermann et Dorothée les neuves inspirations que ces agrestes peintures de la vie allemande peuvent fournir à l’artiste ? Après Hermann et Dorothée, après les imitations qui ont suivi, après la Louise de Voss, il y avait place encore pour une étude plus directe de cette nature naïve, pour une reproduction plus réelle, plus sincère. Ces poèmes, ces églogues, d’une forme si savante et si haute, ne pouvaient descendre aux mille détails de la vie quotidienne. Les romanciers et les conteurs