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l’attention de cette scène lugubre. La prédiction de U’Sacame s’accomplit à la lettre. La sentinelle placée sur la plus haute maison s’écria : Aux armes, voici les Indiens !

Il était trois heures ; les mêmes épisodes signalèrent ce nouveau combat, plus acharné que le premier. Vers six heures, le soleil éclairait obliquement un monceau de morts entassés dans le Rancho ; Ochoa, grièvement blessé, blasphémait de toute la force de sa voix mourante ; ses hommes découragés ne combattaient plus que faiblement ; les Indiens de leur côté, quoique ayant fait des pertes énormes, tentèrent un dernier effort pour écraser ce qui restait des défenseurs de la place.

Au milieu de ses bataillons, Banderas, visible cette fois, encourageait de la voix ses guerriers. Monté sur un cheval couvert d’une selle de velours rouge, mais immobile comme un satrape d’Orient, il dédaignait de prendre part au combat, sa présence seule lui semblait suffisante. Au moment où les blancs fatigués sentaient le cœur leur manquer, un cri de guerre retentissant comme le tonnerre partit derrière eux. Il était poussé par U’Sacame. Le chef hiaqui paraissait transfiguré ; il avait dépouillé son costume mexicain, et, monté sur son beau cheval de bataille, dont il avait ôté la housse traînante, nu des pieds à la tête, le corps huilé et luisant comme du bronze, il avait repris toute la majesté sauvage d’un chef indien. Sa main brandissait sa longue épée ; derrière lui, ses soldats se pressaient, prêts à s’élancer comme leur chef,

A la vue de Banderas, son ennemi mortel, les veines de son front se gonflèrent, sa lèvre en se retroussant laissa voir ses dents serrées. — Place à U’Sacame ! s’écria-t-il impétueusement ; puis, éperonnant son cheval avec ardeur, il lui fit franchir la barricade et tomba comme un jaguar au milieu des Hiaquis stupéfaits. Un autre cheval bondit derrière le sien : c’était celui de Zampa Tortas. Cette héroïque imprudence n’échappa pas à Banderas, qui donna à haute voix l’ordre de le prendre vivant pour le faire périr du supplice des traîtres ; mais l’ordre n’était pas facile à exécuter. U’Sacame, bien qu’enveloppé de toutes parts, secouait avec une vigueur indomptable les grappes de corps noirs suspendus à ses jambes, qui glissaient entre leurs mains ; ce que son épée ne perçait pas était foulé sous les pieds de son cheval ou assommé à coups redoublés de ses étriers cerclés de fer. Un autre cavalier le suivait de près, qui foulait aussi les Hiaquis acharnés après U’Sacame ; son épée frappait comme la sienne, et les Indiens tombaient autour de lui c’était Zampa Tortas, dont personne n’eût attendu ces prodiges de valeur.

— Chiens ! hurlait U’Sacame, qui poussait avec fureur son cheval bondissant au milieu de ces vagues humaines, laissez U’Sacame se mesurer avec Banderas.

Mais les Hiaquis continuaient de l’entourer. Malgré sa vigueur, malgré