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— Abattez ces barricades ! criait-il en donnant sa hache à l’un de ses compagnons, tandis que sa large poitrine touchait la gueule de la pièce d’artillerie.

C’était pousser trop loin le mépris pour la maladresse des blancs ; le coup partit, et les débris sanglans du corps de l’Indien furent lancés dans toutes les directions. Des hurlemens aigus firent retentir les airs, et un nuage de poussière fut soulevé par les Indiens, qui s’étaient jetés à plat ventre ; quand il fut dissipé, l’espace était vide de nouveau, et les Maquis en pleine déroute. Le combat avait commencé à cinq heures, il en était dix.

— A cheval, enfans, à cheval ! s’écria Ochoa, poursuivons-les jusqu’à leur rivière ; que pas un n’échappe au tranchant de nos sabres !

Le chef yori veut-il donc épuiser les forces de ses guerriers, au lieu de les ménager pour soutenir une nouvelle attaque ? dit U’Sacame en arrêtant l’élan du capitaine ; qu’ils songent à se reposer, car, lorsque le soleil sera au tiers de sa course, les Hiaquis reviendront en plus grand nombre.

Ce conseil fut goûté des Mexicains, qui se battaient bravement depuis cinq heures, et, après avoir pansé tant bien que mal les blessés, chacun ne songea plus qu’à prendre de la nourriture et du repos. Pendant ce temps, U’Sacame promenait un regard attentif sur les principaux d’entre ses nouveaux alliés réunis autour d’Ochoa. Tout à coup, à l’aspect de la figure triste et pâle de Casillas, l’œil du sauvage brilla d’un éclat sinistre, comme s’il eût cherché à retrouver dans sa mémoire une trace à demi effacée, et l’Indien enveloppa de son regard ardent le jeune homme, qui devint plus pâle encore. De son côté, celui-ci paraissait interroger des souvenirs confus à l’aspect du chef hiaqui. Durant ce mutuel examen, nul des deux ne fit un mouvement ; Casillas détourna ses regards pour les fixer sur la terre. Quant à U’Sacame, il parut avoir éclairci ses doutes au bout d’un instant, car, se dirigeant vers Ochoa, il lui toucha la poitrine du doigt en lui disant

— Que le chef ordonne à ses hommes de ne pas faire un pas hors de l’endroit où ils sont, les paroles de U’Sacame sont pour les oreilles de tous.

— Restez, messieurs, dit Ochoa, surpris de l’air solennel du guerrier hiaqui, et voyons quelles sont ces paroles.

U’Sacame reprit :

— Que m’a dit ce matin le capitaine yori ? qu’il répondait de ses hommes ?

— Oui, dit Ochoa de plus en plus surpris.

— Qu’il tuerait un traître, s’il s’en trouvait parmi eux ?

— Je l’ai dit.