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des leurs qui combattaient les assaillans, ne pouvaient faire feu qu’à de longs intervalles. Quant à pointer, il n’en était pas besoin, car les Hiaquis arrivaient à bout portant. Une nuée de flèches entremêlées d’une grêle de balles partaient des terrasses des maisons contiguës aux barricades, et portaient le désordre dans les rangs ennemis ; mais de nouveaux assaillans remplaçaient ceux qui tombaient ou fuyaient.

Parmi les plus acharnés, dont le flot venait se briser contre les retranchemens, une forme noire et gigantesque se faisait remarquer dans les ténèbres. Une lourde hache, qui brillait aux lueurs de l’artillerie, s’abattait à chaque instant avec un sifflement aigu. Un gémissement suivait chaque coup, un Mexicain tombait, ou, à défaut, les barricades criaient sous sa redoutable atteinte.

Personne n’abattra-t-il donc ce démon de l’enfer ? s’écria Ochoa, Guttierrez, un coup de pistolet à ce chien, ou bien faites-moi place.

On entendit la pierre qui frappait le bassinet, mais des étincelles seules jaillirent ; un éclat de rire et un hurlement répondirent à cette vaine tentative. La hache s’abattit de nouveau, et, si Guttierrez esquiva le coup, à côté de lui, le vieux sergent à la longue rapière tomba la tête fendue pour ne plus se relever. Cette fois, plusieurs coups de feu partirent ensemble sans atteindre le but qu’ils cherchaient ; des Hiaquis tombèrent, il est vrai, mais la hache brillait toujours, et de minute en minute un Mexicain disparaissait des rangs.

— Camoté se rit des balles des blancs, et il les tue comme des chiens ! hurla le géant indien.

Le nom de Camoté circula de bouche en bouche parmi ses ennemis. C’était le nom bien connu d’un Hiaqui, redoutable par sa force extraordinaire, qui venait à Guaymas se louer comme charpentier ; il avait appris, parmi les blancs, à manier cette hache dont il faisait contre eux un si terrible usage. Après cette bravade, l’Indien céda sa place à des combattans moins fatigués. Cependant ces assauts repoussés et toujours renouvelés de la part des Indiens, le besoin de se multiplier et d’être partout à la fois de la part des blancs, commencèrent à lasser les deux partis. Une espèce de trêve s’ensuivit, si l’on peut appeler ainsi un combat qui n’avait plus lieu que de loin.

À cette heure, le jour commençait à poindre, les armes à feu jetaient une lueur moins vive, et l’on pouvait distinguer les flèches dans l’air, bientôt un rayon de soleil vint éclairer les résultats du combat de la nuit. Du côté des Hiaquis, des mares de sang, desséchées par la poussière, décelaient seules les ravages de l’artillerie ; pas un cadavre n’était étendu par terre, car, suivant la coutume des Indiens, c’est un point d’honneur de ne pas laisser leurs morts sur le terrain. Du côté des blancs, les pertes ne laissaient pas d’être nombreuses, et surtout visibles ; accablés qu’ils étaient par la multitude, à peine avaient-ils eu le