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les hommes veilleront au Rancho, répondit Ochoa en se servant du même ton d’emphase pour cacher sa défiance d’un allié non encore éprouvé.

L’Indien n’insista pas, car il approuvait cet amour-propre d’un soldat, et son cœur était pur d’arrière-pensée. Sans échanger d’autres paroles, les deux chefs se dirigèrent instinctivement vers la barrière qui fermait l’issue du côté où il était certain que commencerait l’attaque. A une certaine distance, un pli de terrain cachait la route, qui descendait dans une vallée ; c’était là que les Hiaquis étaient campés. La campagne était morne et silencieuse, le ciel clair, la lune brillante. Ses rayons argentaient les spirales de la fumée des bivouacs indiens, dont le grand nombre indiquait qu’ils étaient au moins deux mille. Le silence avait quelque chose de terrible qui, joint à la fraîcheur de la nuit, aurait fait frissonner le plus brave.

— L’œil ouvert prévient la trahison, dit U’Sacame après un long silence, comme préoccupé encore des derniers mots d’Ochoa, dont il avait deviné le sens caché. U’Sacame répond de ses hommes, le chef yori peut-il en dire autant ?

— Je réponds des miens, dit fièrement Ochoa ; mais je tuerais un traître, s’il en existait parmi eux.

— Bon, dit froidement l’Indien, et tous deux se turent de nouveau.

Cependant la lune était tout près de l’horizon, le chariot allait atteindre la cime des palmiers, quand toutes les dispositions furent prises, les toits des maisons garnis de blancs et d’Indiens, les artilleurs à leurs pièces, chacun à son poste. Bientôt un murmure confus commença de monter lentement de la vallée, puis grossit comme le bruit de la mer dans le lointain. De moment en moment, le fracas se rapprochait, semblable à une tempête, jusqu’au moment où des hurlemens annoncèrent que cet orage grondait dans des poitrines humaines. Confians dans leur force numérique, les Hiaquis négligeaient les précautions d’usage, et dédaignaient de dissimuler leur approche. Alors, derrière l’ondulation de la plaine assombrie par l’absence de la lune, des têtes surgirent en quantité, une masse noire se forma, puis un sifflement de flèches se fit entendre. La masse noire approchait toujours, une détonation suivit un éclair éblouissant, et la mitraille vint y faire une large trouée aussitôt comblée. Le combat était engagé.

Les Indiens qui formaient le premier rang, poussés par la multitude qui grossissait derrière eux, vinrent heurter les barricades et s’efforcèrent de les escalader. La lutte alors eut lieu corps à corps avec d’affreux hurlemens ; le sabre, le couteau, brillaient aux lueurs des armes à feu, le sang coulait de part et d’autre. Malheureusement les Mexicains qui servaient la pièce de campagne dont la gueule dépassait, comme par un sabord, les troncs de palmiers des barricades, gênés par ceux