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voletaient éperdues avec des cris perçans, tandis que les grands pélicans pêcheurs, posés sur une patte comme des hiéroglyphes, regardaient impassiblement tout ce tumulte inusité. En arrivant sur la place, je vis une masse compacte de cavaliers dont les chevaux piaffaient et poussaient des hennissemens. De temps en temps, la lueur des cigarettes éclairait des figures bronzées qui s’évanouissaient aussitôt dans l’ombre. Tout le monde était prêt à partir ; on attendait seulement que ceux qui avaient été mettre leur famille en sûreté dans les îles fussent de retour.

Le mouvement tumultueux du port cessa peu à peu, et de nouveaux renforts vinrent successivement se joindre aux cavaliers réunis sur la place. Bientôt la rade ne présenta plus sur sa surface ni canots, ni pirogues ; ses eaux redevinrent tranquilles ; les familles étaient en sûreté soit au milieu des îles, soit à bord des divers bâtimens. Ochoa, avant de donner le signal du départ, parcourut le front de son escadron pour s’assurer si tous ses hommes étaient présens. Tout à coup il s’écria : — Mais je ne vois point Casillas ! — On lui apprit qu’en sortant du cabaret, Casillas avait sellé son cheval et s’était éloigné sans dire où il allait. Je vis le capitaine froncer le sourcil d’un air mécontent. Enfin il allait donner le signal attendu, lorsqu’il fut rejoint par le jeune homme qu’il avait dépêché au général Tobar. Ochoa s’avança au-devant de lui dès qu’il l’eut reconnu, et, lui secouant affectueusement la main :

— Eh bien ! Zampa Tortas, lui dit-il, vous arrivez à temps pour vous joindre à nous. Quelles nouvelles m’apportez-vous du général ?

— Le général était absent : il parcourt le pays pour gagner des soutiens à notre cause ; mais je lui ai fait parvenir votre message par un exprès pour venir vous retrouver, et me voici.

— Soyez le bienvenu, dit Ochoa ; nous allons partir.

— Un instant, seigneur capitaine, dit Zampa Tortas en l’arrêtant, je ne suis pas revenu seul. Un messager indien attend à l’entrée de la ville un sauf-conduit de votée part pour communiquer, dit-il, des nouvelles importantes au chef des yoris[1].

— Il n’a rien à craindre, amenez-le.

Zampa Tortas piqua son cheval, et revint quelques instans après, accompagné d’un Indien dans son costume de guerre. Celui-ci s’arrêta devant Ochoa en attendant que le capitaine lui adressât la parole.

— Parle, dit le capitaine. Qui t’envoie ? Est-ce ce chien de Banderas ?

— Banderas est un chien en effet, dit le Hiaqui ; je ne porte pas ses messages. C’est U’Sacame qui m’envoie, et voici les paroles qu’il m’a chargé de transmettre au chef des yoris : U Sacame a été insulté par Banderas ; sa maison a été brûlée ; il est devenu l’ennemi de sa race.

  1. Les blancs.