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Ochoa recula vivement, entoura son bras du premier manteau qu’il trouva, et se mit, l’épée à la main, dans la posture d’un toreador prêt à l’attaque. Les assistans restaient immobiles, sans penser à s’interposer entre eux, quand un homme accroupi dans un coin de la salle saisit aussitôt une petite harpe portative placée à côté de lui et fit entendre un prélude plaintif. Le son de cet instrument, comme celui de la harpe de David, sembla chasser le malin esprit. Ochoa et Guttierrez se rassirent.

En ce moment, un jeune homme entra dans la salle Bien que sa contenance ne trahît aucune émotion violente, néanmoins sa figure pâle, ses cheveux épars et ses habits en désordre semblaient démentir l’expression de sa physionomie.

— Ah ! c’est vous, Casillas ! s’écria Ochoa ; avez-vous, selon mes ordres, poussé votre reconnaissance le plus loin possible ? Où sont les Hiaquis ?

Le jeune homme à qui s’adressait Ochoa se recueillit quelques secondes avant de répondre, mais avec un certain embarras.

— Heureusement, seigneur capitaine, le danger n’est pas si imminent qu’on le craignait. Les Hiaquis sont tranquilles, et rien ne fait prévoir qu’ils songent à nous attaquer de sitôt ; du moins, ajouta-t-il, je le pense ainsi.

Ce nom de Casillas m’avait frappé ; c’était celui de l’ami du sacristain, je l’examinai avec attention. Ce jeune homme devait avoir de vingt-cinq à vingt-six ans ; sa figure était intéressante. La pâleur de son front chargé d’une magnifique chevelure faisait ressortir de grands yeux noirs surmontés de sourcils bien arqués. Après avoir rendu compte de sa mission, il reprit l’expression de mélancolie qui paraissait caractériser habituellement sa physionomie.

Un nouveau personnage se présenta sur le seuil ; il portait à la main une canne de jonc à poignée d’or sur laquelle il s’appuyait. Quoiqu’il affectât un air d’importance, il était facile de deviner qu’il éprouvait un certain malaise à se mêler à la réunion sans y être invité. Par contre aussi, quelques-uns des aventuriers assis à la table dissimulèrent de leur mieux une appréhension également visible sous un masque de dignité d’emprunt. Ochoa seul garda sa contenance assurée.

— Eh ! que nous veut ici le seigneur alcade ? s’écria-t-il en toisant des pieds à la tête le nouvel arrivant avec un orgueilleux dédain.

— J’apporte de mauvaises nouvelles, messieurs, dit l’alcade ; j’apprends que les Hiaquis marchent contre le Rancho[1], que leurs bataillons

  1. Le Rancho de San-José de Guaymas, petit village à quatre kilomètres de Guyamas.