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— Vous êtes étranger, à ce que je vois, seigneur cavalier, et peut-être cherchez-vous un logement ?

— Je l’avoue, et, si cette maison est à louer, comme on me l’a dit, je pourrais m’en accommoder.

— Eh bien ! alors mettez pied à terre, et veuillez accepter l’hospitalité que je vous offre… dans la maison de mon ami.

J’appris, en causant avec mon nouvel hôte, qu’il était sacristain à Guaymas, ce qui lui donnait aussi peu de peine que de profits, puisque son église n’était encore qu’en expectative.

— En attendant, dit-il, que le gouvernement de l’état fasse construire l’église qu’il nous promet, je fais avec mon ami Casillas quelques affaires ; c’est un jeune homme qu’il faut bien pousser.

Avant d’entrer en arrangement définitif, je désirai m’entendre au sujet de l’affreux étalage qui obstruait l’entrée de la maison.

— Quant à cela, répondit le sacristain, n’en ayez nul souci : je suis intéressé à vous en délivrer le plus promptement possible, car c’est une spéculation que je fais en l’absence de Casillas, et que, pour des motifs à moi connus, je suis forcé de terminer avant son retour, qui doit avoir lieu sous deux jours.

Complètement rassuré sur la disparition prochaine de cet incommode voisinage, mon marché fut bientôt conclu. Le sacristain se montra fort accommodant sur tous les points. Restait l’article de la table ; il me nomma une espèce de petit cabaret, situé près du port, où je pourrais aller prendre mes repas, et il ajouta : — Les principaux membres du gouvernement provisoire le fréquentent assidument, et vous pourrez y faire de brillantes connaissances. Maintenant, continua-t-il avec un sourire engageant, comme je suis certain que mon ami n’a pas d’argent, vous lui rendriez un grand service en m’avançant le prix d’une quinzaine de son loyer ; j’ai sa procuration.

Le soir venu, je me rendis au cabaret qu’il m’avait signalé, et dans lequel se trouvait déjà réunie une compagnie nombreuse. Le cabaret était tenu par deux jeunes gens qui, grace au crédit illimité qu’ils faisaient aux chefs des prononcés, jouissaient en ce moment d’une grande considération. L’un d’eux se chargea de me présenter. Dans une petite salle attenant à la pièce où se trouvait le comptoir, assis autour d’une table longue en bois de balsamo massif, une douzaine d’hommes environ étaient occupés à boire ou à jouer. Quelques chandelles, dont les mèches charbonnaient d’une façon lugubre, répandaient dans toute la salle une lueur douteuse qui en laissait les coins dans l’obscurité. Sur ceux des bancs restés inoccupés, des manteaux brodés, des sarapes aux mille couleurs, des chapeaux à galons d’or ou tout simplement de paille de Guayaquil, étaient jetés pêle-mêle avec de longues rapières à garde de fer ou d’argent. Une épaisse fumée de tabac tourbillonnait autour de la