Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/898

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

filets d’eau qu’on aperçoit au loin vient se jeter dans ce petit golfe : c’est la rivière des Hiaquis.

De toutes les peuplades sauvages qui entourent les établissemens des blancs, les Hiaquis sont la plus puissante. Leurs nombreux villages couvrent une vallée fertilisée par la rivière qui porte leur nom. Ils sont à la fois chasseurs, industriels et agriculteurs. Le nombre des habitans de ces diverses bourgades n’est pas moins de trente mille, y compris les femmes et les enfans. Un grand nombre de ces Indiens viennent se louer à Guaymas comme ouvriers ou domestiques. C’est la partie de la population qui tient le milieu entre l’homme sauvage et l’homme civilisé ; mais, au moindre grief contre les blancs, ces ouvriers disparaissent subitement de la ville et vont se joindre aux milliers de combattans que leur race peut mettre sur pied d’un moment à l’autre. On conçoit tout le danger de ce terrible voisinage pour Guaymas, danger amoindri toutefois en ce que cette disparition subite est pour les habitans un avertissement de se tenir sur leurs gardes. Ces querelles se renouvellent fréquemment, et elles sont toujours sanglantes. C’est une guerre sans pitié, dans laquelle les Indiens n’ont pas toujours l’avantage de l’astuce ou de la férocité.

Le jour de mon arrivée, la ville était dans la consternation ; depuis vingt-quatre heures déjà, tous les Hiaquis avaient disparu, déterminés à. venger la mort des leurs que j’avais trouvés égorgés et mutilés dans le petit bois où ils restaient exposés comme un témoignage de la justice des blancs. On commençait à taxer d’atrocité la vengeance exercée contre des maraudeurs, bien que jusqu’alors un tel fait n’eût été considéré que comme un acte de justice un peu sommaire il est vrai, mais bien méritée. Toutefois, ce qui rassurait un peu les habitans, c’était la nouvelle d’une rupture survenue entre deux chefs hiaquis. L’un d’eux, surnommé Banderas, avait eu l’avantage sur son rival, U’Sacame. On pouvait donc jusqu’à un certain point compter sur l’alliance et le secours de ce dernier. Un autre événement contribuait aussi à jeter la perturbation dans Guaymas. Une révolution avait éclaté dans cette ville quelques jours auparavant. Cette révolution partielle est l’histoire générale de toutes les révolutions du Mexique, toujours aussi futiles dans leur origine et aussi mesquines dans leurs résultats qu’originales dans leurs détails. Voici quels avaient été le principe et l’origine de cette farce politique.

Le commandant de la place était un général nommé Tobar. C’était un ancien soldat, homme actif, brouillon, qui s’était signalé dans les guerres contre les Indiens des diverses peuplades, et qui, après leur défaite ou leur pacification, s’ennuyait d’une inaction forcée. Les lauriers du président Santa-Anna, l’homme par excellence des pronunciamientos et des contre-pronunciamientos, l’empêchaient de dormir.