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Priest, et les accusations contre la morale des Escobar et des Sanchez, choses fort neuves à l’époque de Pascal. C’est une compilation faite par l’auteur depuis sa sortie du noviciat. On se demande pourquoi il ne l’a pas faite avant d’y entrer. La seconde partie du livre lui aurait épargné la première. Mais, en vérité, pourquoi aller chercher aux jésuites des crimes imaginaires ? Ne suffit-il pas, pour les repousser, du véritable grief qu’aura toujours contre eux la civilisation moderne ? Leur crime, c’est de lutter contre l’esprit du temps, contre la marche providentielle de l’humanité ; c’est de vouloir établir une théocratie à jamais impossible, mettre le prêtre à la place de la conscience, l’homme à la place de Dieu. C’est là une tendance mauvaise, funeste à la religion elle-même. Nul siècle plus que le nôtre n’a été favorable à l’esprit véritable du christianisme, car seul il a proclamé la liberté. Aussi c’est de notre âge que datent les plus belles conquêtes de la religion. La pensée chrétienne se sécularise, elle sort du temple pour vivifier nos lois, nos murs, nos arts ; elle éclate dans nos systèmes et triomphe dans nos institutions. La révolution française est plus chrétienne dans son principe que ne le fut jamais le moyen-âge. Vouloir renverser tout cela, mettre l’état dans l’église et gouverner l’Europe du haut du Vatican, c’est un rêve aussi funeste qu’insensé. S’il est quelques hommes qui perdent, à le réaliser, leur vie, leurs talens et jusqu’à leurs vertus, nous pouvons les plaindre, quelquefois les admirer, toujours les combattre, et ne les calomnier jamais.

Le style de l’ouvrage qui nous occupe nous a paru empreint des mêmes qualités, des mêmes défauts que la pensée. Il est tour à tour naïf et touchant, puis empreint de recherche, d’exagération et de mauvais goût : on y trouve des allusions savantes, j’allais dire pédantes, des images forcées et jusqu’à des jeux de mots. L’auteur aurait dû éviter ce que j’appellerais presque le charlatanisme des titres, quelque chose qui sent le puff britannique. Ainsi je lis en haut de certaines pages le Festin de Balthasar, le Toast de Salon. Je crois qu’elles vont me révéler quelque horrible mystère du carbonarisme jésuitique ; je lis le texte : je trouve deux innocentes métaphores. Le général Caraffa recommande à ses religieux de ne point profaner leurs heures d’études par de profanes lectures, ce qui serait, dit-il, « renouveler l’attentat de Balthasar, boire à Satan dans des coupes sacrées. » Nous ne parlerons pas, en finissant, d’une ode française composée par l’auteur sous les ombrages de Hodder ; nous ne pensons pas qu’il veuille en rendre responsable la société de Jésus ; l’accusation serait trop grave.


NOTICES SUR Mlle LEGRAS ET SUR Mme DE MIRAMION[1]. - Les hommes de goût avaient remarqué, il y a peu d’années, un ouvrage de morale religieuse intitulé le Livre de la jeune femme chrétienne. Sous le voile de l’anonyme se révélaient la touche délicate d’une femme du monde et l’expérience d’une vie grave humblement dévouée au bien. C’est de la même source élevée et pure que viennent de sortir deux notices que nous ne saurions désigner sous un titre littéraire, tant elles sont loin d’être des ouvrages de littérature. Dans deux écrits aussi courts que substantiels, l’auteur expose la vie de Mlle Legras, fondatrice

  1. Paris, librairie Devarennes.