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Avec la précision de son esprit et l’admirable clarté de son talent, M. Thiers a exposé les deux politiques que pouvait, après son avènement, suivre la monarchie de 1830. L’une de ces politiques était agressive, elle pouvait produire de grandes choses, mais elle était chanceuse : c’était celle de l’opposition de cette époque. M. Thiers l’a combattue et au besoin la combattrait encore. L’autre était plus sûre et n’aventurait rien ; elle n’était pas moins digne et pouvait être aussi féconde dans l’avenir, si l’on savait s’en ménager les éventualités. Si ce n’était pas une politique éclatante, c’était une politique prudente et convenable, qui laissait à la France l’entière disposition de ses forces et le plein usage de sa liberté. Ce fut à ce système que se rallia M. Thiers, ce fut de cette pensée qu’il devint le ministre depuis 1832 jusqu’en 1836, concurremment avec M. Guizot. Cette politique voulait la paix, mais elle laissait voir au besoin qu’elle était capable de la guerre ; en même temps qu’elle négociait à Londres avec une conférence européenne, elle s’établissait à Ancône et prenait Anvers en face de l’armée prussienne rangée en bataille ; elle traitait avec toutes les vieilles monarchies, mais n’hésitait pas à reconnaître Isabelle II et à seconder en Portugal les tentatives de dom Pédro. Elle proclamait hautement l’alliance anglaise, mais elle voulait que cette alliance fût active et efficace ; elle prétendait l’utiliser au profit de la cause constitutionnelle en Europe. Le patronage de la Péninsule engagée dans le labeur de sa régénération avait été l’œuvre entreprise en commun c’est dans cette œuvre que, selon l’illustre orateur, le concours sincère de la France manqua pour la première fois à son alliée, et ce désaccord de vues provoqua un refroidissement qui trois années plus tard allait aboutir au traité du 15 juillet. Dans le cours de ces trois années, une politique nouvelle avait été inaugurée : cette politique professait extérieurement les mêmes principes que celle de M. Casimir Périer, mais elle les appliquait d’une manière fort différente. Elle livra, dit M. Thiers, l’Espagne aux chances d’une contre-révolution, abandonna le Luxembourg, évacua Ancône et s’aliéna l’Angleterre sans parvenir à se concilier le continent. Le ministère du 1er mars fut une réaction d’un moment contre cette politique, qui reprit son cours au 29 octobre, et s’est déployée depuis cette époque avec une hardiesse qu’elle avait été bien loin d’avoir sous le ministère du 15 avril.

Après avoir été mise au ban de l’Europe par le traité du 15 juillet, la France s’est empressée de rentrer sans nulle condition dans le concert européen, elle a renoué l’alliance anglaise, mais sans rien stipuler au profit de notre politique, même en Syrie ; et, pour obtenir le rachat de la convention de 1841 sur l’extension du droit de visite, elle s’est trouvée dans le cas de dévier en Amérique de sa neutralité, et d’accepter dans l’affaire du Texas un rôle contraire à nos plus manifestes intérêts. L’alliance anglaise pratiquée comme l’entend le cabinet actuel conduit la France à ne tirer aucun parti de ses succès au Maroc, à conserver toujours et partout une attitude d’impuissance et d’immobilité. Pour donner le change au pays, le ministère s’est trouvé dans le cas d’inventer la conquête des Marquises, et, dans cette impasse isolée de toutes les grandes routes commerciales du globe, il s’est créé, par son imprévoyance, plus de difficultés que ne pouvait lui en donner l’ensemble des affaires européennes. Il a pris Taïti pour pouvoir vivre aux Marquises, et il a désavoué M. Dupetit-Thouars pour ne