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de tout ceci, c’est qu’il serait dangereux et inutile de modifier la loi de 1810, c’est que le principe d’association contenu dans cette loi est nécessaire à l’industrie des mines, c’est que ce principe est sagement limité, et que le gouvernement a dans les mains des armes suffisantes pour l’empêcher de dégénérer en monopole. M. le ministre des travaux publics a démontré cette vérité avec la dernière évidence, et l’on n’a pas encore pris la peine de le réfuter.

La loi de 1810 a été d’une admirable prévoyance. Rédigée à une époque où l’industrie houillère n’avait pas encore révélé toute l’importance de ses destinées, elle convient cependant au présent comme au passé. La société et l’industrie elle-même y trouvent des garanties suffisantes. Un changement dans la loi de 1810 serait donc une mesure impolitique. Cependant, s’il fallait, dans un intérêt que le gouvernement et les chambres apprécieront, donner une satisfaction à des passions hostiles, ou rassurer quelques esprits timorés, nous pensons que l’on pourrait ajouter à la loi de 1810 une disposition plus sage et plus utile que le projet de la commission. De quoi s’agit-il dans ce débat ? Quel but doit-on se proposer ? Veut-on gêner l’industrie houillère ? Non. On veut seulement empêcher les abus qui pourraient résulter d’une vaste association, maîtresse de la consommation sur un bassin. Eh bien ! au lieu de dire qu’une réunion houillère sera dissoute dès qu’il sera prouvé qu’elle donne des inquiétudes aux consommateurs, déclarez, dans un article de loi, que le retrait des concessions pourra être prononcé dès qu’il sera prouvé, après une enquête, que l’association a dépassé la limite des prix déterminés par le mouvement général de l’industrie et par le jeu d’une concurrence régulière. Sans doute une pareille disposition serait rigoureuse, et il n’y aurait peut-être que l’industrie houillère qui serait assez forte, assez sûre d’elle-même, pour ne pas redouter cette perpétuelle menace insérée dans la loi ; mais au moins cette disposition donnerait aux consommateurs de nouvelles garanties sans introduire dans l’industrie des mines un principe funeste, et l’on ne sacrifierait pas de graves intérêts à des défiances injustes ou illusoires.

Nous comprenons jusqu’à un certain point les appréhensions de la chambre des députés. Ces grandes associations qui se forment de toutes parts, ces capitaux immenses qui se rassemblent pour exécuter des entreprises gigantesques, ce pouvoir de l’argent, hier si timide, aujourd’hui si téméraire, tout cela doit émouvoir le législateur ; mais nous croyons qu’on exagère la portée de ces symptômes. On se livre à des hypothèses que le bon sens repousse. On prête à la spéculation, à l’agiotage, des projets chimériques. On suppose aux influences pécuniaires une puissance qu’elles n’ont pas, qu’elles ne sauraient avoir dans une société comme la nôtre. On n’a pas assez de confiance dans la dignité, dans la moralité de notre pays. Le caractère de notre nation a déjà traversé d’autres épreuves. Le règne de Louis XV n’a corrompu que la cour ; les chemins de fer ne feront pas de notre pays une nation d’agioteurs. On prend des excès passagers pour des passions durables. L’industrie moderne, née des révolutions qui ont enfanté les classes moyennes, ne manquera pas à sa noble origine fille de la liberté, elle ne l’opprimera pas.


JULES PETITJEAN.