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Toute industrie a besoin de stabilité. À ces alternatives de hausse et de baisse qu’engendre une concurrence désordonnée, les industries qui consomment la houille préféreront toujours la fixité des prix, qui ne peut s’établir qu’à l’aide d’une certaine concentration sur chaque bassin houiller.

On parle des ouvriers ! La ruine des maîtres ne serait pas une bonne garantie pour le maintien de leurs salaires, et des sociétés puissantes les protégeront toujours mieux que de faibles exploitations, sans cesse ballottées par la concurrence. On dit aux ouvriers mineurs que le fractionnement des concessions est pour eux une garantie, parce que, renvoyés d’une mine, ils pourront toujours entrer, dans une autre. Cela sera vrai tant que la majorité des mines prospérera sur un bassin ; mais si les travaux cessent partout, s’il y a encombrement, comme cela arrive souvent dans les luttes de la concurrence locale, où iront les ouvriers ? D’ailleurs, qu’est-ce qu’un système qui présente aux ouvriers l’anarchie comme un bien ?

Il est à regretter qu’on mette souvent peu de prudence et de bonne foi dans les discussions que soulève la question des salaires. D’abord on exagère la détresse des ouvriers. Sous l’influence du progrès général, dont l’une des conditions est de mettre à la portée du plus grand nombre toutes les choses nécessaires à la vie, il est certain que la condition des ouvriers s’améliore tous les jours. Le temps a marché pour eux comme pour tous. Si leur existence est quelquefois menacée par des crises affligeantes, il faut le dire, ce n’est pas toujours l’insuffisance des salaires qui provoque ces crises ; elles sont ordinairement le fruit de la débauche et de l’imprévoyance. Les ouvriers les mieux payés ne sont pas toujours les plus paisibles ni les moins exigeans. L’ignorance surtout, chez beaucoup d’entre eux, est la cause de ces excès déplorables qui troublent notre société. L’intelligence crédule de l’ouvrier le met à la merci des mauvaises passions qui veulent s’emparer de lui. Il ignore la portée des coups qu’il frappe. Aussi la réforme des salaires nous a toujours paru un projet chimérique, tandis que la réforme morale et intellectuelle des ouvriers est une pensée juste, dont l’application peut produire des résultats utiles. Quand l’ouvrier sera mieux instruit, il connaîtra mieux ses devoirs ; quand il comprendra les principes élémentaires de l’industrie, quand il saura que le salaire a des lois invariables qu’aucune force ne peut changer, quand l’apparition d’une nouvelle machine ne sera plus pour lui un problème effrayant, il cessera de faire des coalitions.

M. Léon Faucher, dans un curieux travail publié l’an dernier sur le mouvement de l’industrie en Angleterre, a cité un fait qui démontre mieux que des raisonnemens les avantages qu’on peut retirer de cette réforme intellectuelle et morale des ouvriers. Depuis plusieurs années, les manufacturiers des comtés de Lancastre, de Chester et d’Yorck ont pratiqué en grand cette réforme. Ils ont fondé des écoles, ils ont donné des livres aux ouvriers, ils ont concouru eux-mêmes à les instruire, ils ont pris en même temps des mesures destinées à soulager leur vieillesse ou leurs infirmités : qu’est-il résulté de ce système, qui n’est après tout que de l’humanité et de la justice ? La conduite des ouvriers a répondu à celle des maîtres. Les ouvriers ont donné aux maîtres des témoignages publics de leur reconnaissance, en condamnant eux-mêmes les coalitions. Ils ont déclaré, dans des discours adressés à la foule, que « les coalitions sont toujours funestes, que le taux des salaires ne dépend ni des ouvriers ni des maîtres, que le salaire exprime le rapport qui existe entre l’offre du travail et la demande, que le