Cork avec leurs familles pour prêter le serment. L’esprit d’imitation, si puissant chez les hommes, fit le reste, et bientôt la route entre les deux villes fut couverte de pèlerins. Le père Mathew dut finir par se rendre à Limerick. Il y fut reçu comme l’archange vainqueur du dragon de l’intempérance. Il prit ensuite la route de Dublin, faisant une halte dans chaque village. La messe dite, il allait se placer devant la principale taverne de l’endroit, et de là prêchait la croisade contre les excès de la boisson. Dès qu’il se sentait maître de l’esprit des paysans : « Mes enfans, s’écriait-il, en avant ! Que ceux qui veulent se guérir du penchant à l’ivrognerie se mettent à genoux, et qu’ils répètent après moi les paroles que je vais prononcer. » Et le peuple de tomber à genoux et de répéter avec le père : Je promets de m’abstenir des boissons fermentées et de faire mon possible pour engager mon prochain à renoncer au vice de l’intempérance. Il descendait ensuite au milieu de la foule agenouillée, et, après une courte prière, faisait un signe de croix sur le front de chacun, lui disant en même temps : Que Dieu vous donne la force de tenir votre promesse ; et, si la tentation vous prend, dites à la tentation : Qu’aucun homme ne me tente, car je porte sur le corps le signe de Jésus. À Dublin, le père Mathew choisit pour lieu de prestation du serment la place de la Douane, précisément en face du bureau où s’acquittait la taxe sur le whisky. Les employés de l’octroi purent voir de leurs yeux en un seul jour plus de dix mille personnes renoncer à payer à tout jamais l’impôt sur l’eau-de-vie, et une procession aussi nombreuse se renouvela pendant plusieurs jours. Ici, comme ailleurs, l’on remarqua, dans la foule des personnes qui prêtaient le serment, nombre d’infirmes et d’invalides, la tête ou les membres enveloppés de linges, et qui évidemment s’étaient rendus sur les lieux dans l’espoir que la croix que le père Mathew leur ferait sur le front les guérirait de leurs maux. Telle était la ferveur avec laquelle les catholiques s’empressaient d’adopter le teetotalism, que les propriétaires des principales diligences, qui étaient catholiques, offrirent au père Mathew de le faire voyager partout gratis avec leurs voitures, et c’est, dit-on, de la sorte que le père fit le tour de l’Irlande. Par un contraste assez piquant, l’administration des malles-postes, composée de protestans, le faisait en même temps prier de ne plus voyager par le courrier, son arrivée dans les villages que la malle devait traverser donnant lieu à une telle affluence de gens empressés de le voir, que les chevaux ne pouvaient avancer, et qu’il en résultait des retards nuisibles à la régularité du service.
Dès l’instant où le mouvement de la tempérance eut passé sous une direction catholique, beaucoup d’écrivains protestans se sont efforcés de le rendre suspect à l’Angleterre ; ils ont rappelé que toutes les rébellions de l’Irlande avaient commencé par quelque chose d’analogue. Derrière le père Mathew ils ont évoqué le fantôme d’O’Connell. Quelle