Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/840

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentait depuis l’existence des lois pénales. Aucune loi expresse n’avait, il est vrai, exclu les catholiques du parlement, mais la reconnaissance de l’église anglicane et le serment exigé de chaque député rendaient nul par le fait pour eux le droit d’élection. Cette considération n’arrêta pas O’Connell, son but était de faire une protestation éclatante dans le sein du parlement contre l’exclusion de fait de ses coreligionnaires ; on sait quel retentissement eut cette protestation éloquente, et quelle influence elle exerça sur l’adoption du bill de l’émancipation. O’Connell emporta l’élection de Clare à une immense majorité, malgré tous les efforts du parti protestant, auquel les votes des tenanciers catholiques étaient inféodés depuis des siècles ; les paysans se présentèrent à l’élection pour la première fois sans se livrer aux excès de l’ivresse. On voit que déjà instinctivement, et par la force des choses, les idées étaient tournées vers la tempérance, et que le peuple sentait par quel lien intime la réforme politique se rattachait à la réforme morale.

Les sociétés de tempérance sont d’origine américaine. Elles prirent naissance en 1811, dans l’état de Massachusets, où l’ivrognerie avait accru depuis quelque temps, dans une proportion effrayante, le nombre des crimes et les cas d’aliénation mentale. Les unitaires furent les premiers à organiser une société avant pour but d’arrêter les progrès de ce fléau, et proposèrent de substituer l’usage du thé et du café à celui du vin et des liqueurs fermentées. D’autres associations se formèrent sur ce modèle dans divers états, et finirent par se réunir en une seule qui, sous le nom de Société générale de tempérance américaine, tient une séance annuelle, le 2 mai, alternativement à Boston et à New-York. Il n’est pas de ville et de village où elle ne compte plusieurs affiliés. Le nombre en est porté à un million. La propagande est poussée activement par des journaux, des brochures et de nombreux missionnaires, qui vont prêchant à bord des bateaux à vapeur, dans les ateliers, les prisons, enfin partout où il y a des conversions à espérer. Le succès a couronné leurs efforts ; la doctrine fait chaque jour de nouveaux prosélytes. Dans l’état de New-York, on a réduit de moitié les permis pour la vente des liqueurs, et dans celui de l’Orégon les autorités locales l’ont tout-à-fait défendue. Le Nouveau-Monde ne suffit plus au zèle et à l’activité des prédicans de tempérance ; l’un d’eux, M. Baire, fut envoyé il y a peu de temps en Europe et eut accès dans plusieurs cours. Présenté aux Tuileries, il développa, dit-on, les idées et les plans de la société devant un auguste auditoire, mais sans succès. Puisque la Providence nous a donné de si bons vins, lui fut-il répliqué, il est bon de les laisser boire.

En Amérique, les sociétés de tempérance ont été établies et sont restées sous la direction des ministres protestans, le protestantisme étant la religion dominante. De là, l’impulsion a été reçue en Irlande, d’a-