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LES


SOCIETES DE TEMPERANCE


EN IRLANDE.




LE PERE MATHEW.




Depuis l’invasion anglaise jusqu’à l’époque de l’émancipation catholique, la situation de l’Irlande était toujours restée la même : celle d’un pays conquis, maintenu par le vainqueur dans l’abrutissement et la dégradation morale. Les protestans, descendans des soldats qui accompagnèrent Cromwell, formaient une aristocratie privilégiée qui possédait à elle seule tous les droits politiques, et exploitait le pays presque sans contrôle ; les catholiques, composant la grande majorité de la population et vassaux des protestans, étaient condamnés par le code de la conquête à la misère, à l’ignorance, à la nullité politique la plus complète. L’anarchie devait naître de cette situation anormale ; elle devint l’état permanent du pays. A peine les magistrats pouvaient-ils faire exécuter les mandemens du roi dans le rayon même du Pale, autour de la capitale ; l’aristocratie gaspillait sa fortune et son temps dans l’oisiveté et les profusions d’une hospitalité sans bornes, et les peuplades turbulentes des différentes vallées vivaient dans un état perpétuel de guerre et de rapines. Enfin, pour comble de maux, le vice de l’ivrognerie s’était répandu dans toutes les classes, personne n’en était exempt ; les émigrans l’emportaient en Amérique comme une lèpre ; dans leur