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verser le coche[1]. » Le portrait de lord John Russell est d’une ressemblance vivante, quoique flatté en certains endroits.

« Fait pour commander s’il n’était trop orgueilleux pour plaire, sa renommée vous enflammerait, si ses manières ne vous glaçaient. Qu’il vous inspire de la haine ou de l’affection, peu lui importe. Il veut votre vote et se moque de votre estime. Pourtant le soleil est aussi nécessaire aux cœurs humains qu’aux blés, et un climat si froid est diabolique pour les votes. C’est ainsi que nous voyons les doctrines mûrir tous les jours, tandis que le parti brûlé par le givre s’étiole et s’éteint. Malheureux parti exténué ! Nous lui avons dérobé son nourrisson le plus cher, et voilà que le free-trade pépie sur les genoux de Peel ! Mais voyez l’homme d’état lorsque ça chauffe :

« See our statesman when the steam is on. »


Alors le langoureux Johnny grandit et devient l’éblouissant John !

« Languid Johnny growes to glorious John, »


lorsque la pensée de Hampden, parée par les muses de Falkland, illumine sa joue blême et gonfle son sein généreux. »

Le New Timon a bien plutôt droit au nom de roman qu’à celui de poème ; c’est un roman en vers, et, nous l’avons déjà dit, le vers en a souffert parfois. Le genre aussi offre des difficultés presque insurmontables. Byron avec ses corsaires et ses giaours, Scott avec ses maraudeurs et ses ménestrels, le fantastique Coleridge et l’oriental Moore ont tous eu le soin de placer leurs héros dans des milieux essentiellement poétiques. Nous répugnons à croire que le monde, si plein de conventions qu’il puisse être, soit une région inaccessible à la poésie, et que, des endroits consacrés au culte de l’élégance et du bon goût, l’idéal doive nécessairement être banni ; mais on peut dire que la plupart des tentatives entreprises jusqu’ici pour marier la poésie et le roman ont avorté, si bien que, pour faire d’un des héros les plus glorieux du royaume de la fantaisie un personnage ridicule, il suffit de se l’imaginer aux prises avec les exigences de notre civilisation : transformez Lara en un gentleman du XIXe siècle, et vous aurez quelque chose comme Lugarto ou le comte de Monte-Christo. Cependant nous sommes de ceux qui ne croient pas la chose impossible, en Angleterre surtout, où la vie du monde, le high life, est l’objet d’études spéciales. Que l’esprit d’analyse s’introduise une fois en Angleterre, que la liberté de discuter toute chose s’y établisse, et les élémens ne manqueront pas pour cette espèce de poème-roman dont le succès du New Timon semble avoir inauguré le règne.


ARTHUR DUDLEY.

  1. Mot de lord Stanley à propos d’un des derniers bills proposés par lord Johooa Russell, et qui décidèrent de l’existence du cabinet whig.