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trouve, nous hésitons à croire que Timon soit l’œuvre d’un poète, d’un homme habitué aux exigences de la rime. Aussi, bien que les tournures prosaïques soient assez rares, les vers difficiles et durs ne laissent pas que d’abonder, et le mot de raboteux, dont on s’est tant servi à l’égard de Crabbe, conviendrait fort en maint endroit ; ce qui n’empêche pas qu’on rencontre des passages d’un vif élan, d’une poésie à faire croire à un maître, celui-ci par exemple. — Après la scène avec son oncle, Arden, à la veille de quitter l’Angleterre, veut revoir Mary, et part pour le presbytère, où il arrive la nuit. Pénétrant dans le jardin au clair de lune, il aperçoit à travers une fenêtre celle qu’il va abandonner. « Je regardais son front. Là plus de printemps ! elle était seule. Seule ! parole usée ! vieux mot tant de fois prononcé et si peu compris ! Pourtant tout ce que chantent les poètes, tout ce que savent les malheureux de deuil et de désespérance s’y retrouve ! Seule ! celui qui médite, qui aspire ou qui rêve, n’est point seul ; il peuple la terre de riches pensées. La seule solitude, — solitude, hélas ! bien profonde, — est celle où l’imagination ne trompe plus le cœur, où l’ame malade, découragée et lasse, ne voit autour d’elle que les murs d’un cachot.

Touché par l’aspect de la désolation dont il est cause, Arden cherche à consoler la malheureuse enfant, qui se résigne à tout, même à s’entendre raconter d’ambitieux projets à l’accomplissement desquels son amour est un obstacle. Arden part pour son poste ; pendant plusieurs mois, les lettres de Mary se succèdent. A la fin, il en reçoit une (la dernière) dans laquelle les conséquences de sa lâche conduite lui apparaissent sous leur plus terrible jour. Il est père, et celle qui devrait porter son nom n’en a point à donner à l’enfant de la honte. Au retour du poète-diplomate en Angleterre, où l’appelle la ratification de quelque traité ou quelque cordon à recevoir, il court de nouveau au presbytère, mais cette fois il y trouve la mort. Dans le cimetière de la paroisse, se voit l’humble tombeau du pasteur, et, dans le village, nul ne sait ce qu’est devenue Mary. Elle a disparu avec son enfant, le lendemain de la mort de son père, et après s’être entretenue longuement avec un vieil ami du pasteur. Arden découvre cet ami, le supplie de lui donner des nouvelles de sa bien-aimée, et reçoit ces mots pour toute réponse : « Clanalbin, votre témoin, a tout avoué ! — Avoué quoi ? — La fraude abominable, le hideux mensonge ; mariage simulé, prêtre déguisé, tout est découvert ! » Arden est atterré. L’Écossais a dit vrai. Dans l’ardeur de son amitié intéressée pour Arden, il a sacrifié la pauvre et innocente Mary ; et lorsque, plus tard, elle s’adresse à lui pour savoir si Arden a été de moitié dans la fraude, il ajoute le mensonge à la perfidie, et lui affirme que tout s’est fait de concert avec celui qu’elle aimait. De ce moment, Mary disparaît, et d’elle, de sa fille, plus de trace. — « Et vous n’avez plus jamais aimé ? » dit Morvale, auquel le comte raconte