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sens que nous attachons à ce mot. Pour nous, la vie n’est ni le principe vital de Barthez ni l’arche de Van-Helmont, espèces d’êtres doués de spontanéité et d’une volonté propre qui gouvernent le corps en maîtres quelquefois assez peu intelligens. Nous employons ce mot seulement pour désigner la cause inconnue d’une certaine classe de phénomènes qu’il serait superflu de caractériser ici. Il a donc pour nous une valeur semblable à celle que les expressions de lumière, de calorique, d’électricité, de magnétisme, ont pour les physiciens. Or, après les travaux d’OErsted et de Melloni, personne peut-être ne voudrait affirmer aujourd’hui que ces agens ont chacun leur existence distincte. En tout cas, leur nature propre est tout aussi inconnue, leur mode d’action tout aussi mystérieux que celui de la vie elle-même. M. de Humboldt ne craint pas de déclarer qu’il les regarde comme des espèces de mythes ; cependant il les nomme à chaque page, et tous les jours les physiciens nous parlent de phénomènes électriques, lumineux, magnétiques. Comment pourrait-on trouver étrange que les physiologistes parlent de phénomènes vitaux ?

Peut-être en sera-t-il un jour autrement ; mais, dans l’état actuel de nos connaissances, il nous semble impossible de ne pas distinguer la vie des autres agens. Voyez cet animal qui résiste à l’influence de la chaleur et de l’humidité réunies. Il vit. Tuez-le d’une manière quelconque, c’est-à-dire enlevez ce je ne sais quoi de conservateur qu’il porte en lui, et ses élémens matériels, rendus à leurs affinités naturelles, vont à l’instant même se désagréger et former des combinaisons nouvelles. En quelques jours, il ne restera du cadavre qu’un squelette décharné, et, pourtant abandonné à lui-même, cet animal aurait duré bien des années encore. Est-ce à dire que pendant ce temps il aurait été soustrait à l’action des agens physiques ordinaires ? Non, certes. Dans tout corps vivant, l’action de ces agens se combine sans cesse avec celle de la vie pour conserver ou pour détruire. Sans doute l’étude de ces associations et de ces luttes intéresse surtout la physiologie ; mais la distribution géographique des plantes et des animaux est aussi très propre à nous montrer comment et dans quelles limites le monde extérieur agit sur ces êtres organisés dont l’homme fait lui-même partie. Cette étude nous dévoilera quelques jours bien des rapports cachés entre la nature vivante et la nature morte. Dès aujourd’hui elle aurait fourni à M. de Humboldt, nous en sommes certain, bien des pages éloquentes à écrire, bien de magnifiques tableaux à dérouler.

Il s’est à peine écoulé une trentaine d’années depuis l’époque où M. de Humboldt fonda, pour ainsi dire, d’un seul jet la géographie botanique en la rattachant à ses magnifiques travaux sur les lignes isothermes, et déjà cette science si nouvelle a acquis un haut degré de perfection,