Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/764

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à un traducteur qui a déjà fait ses preuves. S’il nous fallait citer ici un exemple, nous indiquerions à M. Faye un modèle auquel il a certainement déjà pensé : nous voulons parler des notices scientifiques publiées par M. Arago, et qui, depuis quelques années, ont rendu populaire l’Annuaire du Bureau des longitudes.

Après avoir exprimé ces regrets qui, comme on a pu le voir, s’adressent bien plus à la forme qu’au fond de Cosmos, examinons le livre en. lui-même, et constatons d’abord une fois de plus que M. de Humboldt a su montrer ici, comme pendant toute sa vie, autant de noblesse de caractère que de savoir. Embrassant pour ainsi dire l’ensemble de nos connaissances, il a dû faire de nombreux emprunts aux travaux d’autrui, et la plus généreuse loyauté l’a toujours guidé dans cette tâche délicate. Voyageur éminent, il semble prendre plaisir à s’effacer devant ses confrères, et les noms de Ross, de Franklin, de Burnes, de Darwin, reviennent à chaque instant sous sa plume. Russes, Anglais, Français, Suédois, Allemands, sont cités dans le texte et dans les notes avec une égale impartialité, avec cette même jouissance que l’auteur trouve à donner des éloges mérités. Sans doute l’illustre enfant de l’Allemagne n’a pu échapper complètement aux préoccupations de la nationalité, sans doute il est heureux d’avoir à nommer de préférence ses propres compatriotes ; mais si nous avons pu désirer avec juste raison de rencontrer plus souvent le nom de M. Duperrey à propos des phénomènes magnétiques, si surtout le nom et les idées de M. Élie de Beaumont nous semblent occuper trop peu de place dans la partie géologique de Cosmos, nous n’en devons pas moins reconnaître que M. de Humboldt a montré un esprit de justice que les savans étrangers et surtout les savans français ne trouvent pas toujours chez leurs confrères d’outre-Rhin.

Malgré le témoignage de sa vie entière, M. de Humboldt, en publiant son essai de cosmographie, semble avoir redouté de le voir accueilli avec quelque défiance. Depuis le commencement de ce siècle, l’Allemagne a enfanté bien des rêveries scientifiques, et si, grace aux efforts de quelques esprits d’élite qui ont exercé sur les jeunes générations la plus heureuse influence, elle paraît vouloir renoncer bientôt à des systèmes qui rappellent le moyen-âge, il n’en est pas moins vrai que l’auteur de Cosmos pouvait craindre d’avoir à lutter contre des préventions fâcheuses. Aussi fait-il dès l’abord sa profession de foi. Il déclare ne vouloir prendre pour guide que l’empirisme. Il se défend avec une modestie quelque peu railleuse d’avoir la prétention de marcher sur les traces de ces esprits supérieurs qui ont su se construire un univers entier sur des à priori, des nombres et des formules. Nous faisons des vœux sincères pour que la parole de M. de Humboldt soit entendue, pour que l’autorité de son jugement porte le dernier coup à cette école des philosophes de la nature, déjà grandement ébranlée par l’école positive