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il s’était rendu en Angleterre pour obtenir les facilités nécessaires à un voyage dans l’Inde. Des difficultés, dont peut-être il ne soupçonna pas alors la nature, le forcèrent d’ajourner encore une fois. Lorsque le congrès d’Aix-la-Chapelle s’ouvrit, M. de Humboldt se rendit dans cette ville, espérant que des patronages puissans lèveraient enfin les obstacles opposés à son départ. Frédéric-Guillaume, son souverain, l’accueillit avec une bienveillance extrême, et, avec une munificence vraiment royale, se chargea de tous les frais de l’expédition ; mais la politique ombrageuse de l’Angleterre s’alarma à l’idée de voir un observateur d’une aussi grande autorité parcourir cette portion du globe qu’elle regarde comme son domaine. Après mille démarches inutiles, M. de Humboldt dut renoncer définitivement à exécuter un projet dont le monde savant tout entier désirait ardemment la réalisation.

Au reste, M. de Humboldt connaissait déjà par expérience l’étroit égoïsme de ce gouvernement, dont quelques hommes semblent vouloir faire le type d’une généreuse libéralité. Pendant son séjour en Amérique, M. de Humboldt avait envoyé à la Guadeloupe sa collection géognostique, composée de minéraux et de roches, qu’il était allé chercher jusqu’au sommet des Andes. Les Anglais s’en emparèrent et la transportèrent à Londres. Depuis cette époque, les réclamations les plus vives n’ont pu les décider à rendre à leur propriétaire légitime ces richesses récoltées au prix de tant de périls et de fatigues. Une partie de cette collection orne les galeries du British Museum ; le reste est enfoui dans les caves de cet établissement, où se voyaient encore, il y a quelques années, des caisses qui n’avaient même pas été ouvertes. On sait qu’une spoliation toute pareille menaça les savans de l’expédition d’Égypte ; mais ici l’amiral anglais dut reculer devant la résolution désespérée prise par nos compatriotes, qui, suivant l’exemple donné par l’illustre Geoffroy Saint-Hilaire, jurèrent de brûler leurs notes, et de détruire le fruit de tous leurs travaux plutôt que de les remettre aux ennemis de la France.

Rappelé à Berlin par des affaires pressantes, M. de Humboldt se vit bientôt entouré de l’estime et de la considération de ses concitoyens. Frédéric-Guillaume rendit lui-même hommage à ce mérite exceptionnel, et combla de ses faveurs le savant qu’il avait toujours traité en ami. Ce fut alors que, cédant à des instances unanimes, l’illustre voyageur tenta pour la seconde fois de résumer des faits si laborieusement recueillis. Dans un cours public plus complet que celui qu’il avait déjà fait à Paris, il présenta l’ensemble de nos connaissances sur la physique générale du globe, et ces leçons, qui peuvent être considérées comme un premier essai de l’ouvrage publié aujourd’hui, eurent un immense succès. Toutes les classes de la société se pressèrent autour du professeur, qui parlait au nom d’une science incontestable et d’une expérience