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l’expédition. Après une longue attente, il reçoit un refus formel, Sans se laisser arrêter par cet obstacle, M. de Humboldt veut en appeler au chef réel de cette belle entreprise. Il prend la poste, et arrive à Marseille ; mais, pour tromper les croisières anglaises, Bonaparte avait avancé le jour du départ, et, au moment où notre voyageur touchait aux rivages de la Méditerranée, il aurait pu voir disparaître à l’horizon la flotte qui emportait nos soldats vers les terres d’Afrique. Aussitôt il quitte la France et se rend en Espagne ; il croit pouvoir s’embarquer à La Corogne, gagner les côtes de Barbarie, et rejoindre l’armée française en profitant des caravanes qui vont de Tripoli au Caire à travers le désert. Déjà ses bagages sont expédiés, mais de nouvelles difficultés s’élèvent, et il se voit forcé de renoncer à ce dangereux itinéraire.

Tout autre eût abandonné sans doute un projet si rudement traversé ces obstacles mêmes ne font qu’irriter l’ardeur de M. de Humboldt. La Méditerranée, l’Asie, l’Afrique, lui sont fermées ; eh bien ! il ira par l’Océan et l’Amérique. Par l’intermédiaire de son frère, qui jouissait déjà d’une haute considération, il sollicite et obtient du roi d’Espagne la permission de visiter les colonies espagnoles d’Amérique. Certain de rencontrer dans ces régions lointaines l’accueil franchement libéral qui seul pouvait rendre son voyage utile, il part sur-le-champ. Il ne voulait alors que traverser le continent américain, gagner le port d’Acapulco sur l’Océan Pacifique, là s’embarquer sur le navire qui se rend annuellement aux Philippines, et atteindre enfin, après avoir fait les trois quarts du tour du monde, cette Inde qu’il brûlait de visiter ; mais, en mettant le pied sur la terre d’Amérique, M. de Humboldt se vit entouré de trésors jusqu’alors inconnus. Pour un moment, l’Inde fut oubliée, et le rapide voyage qu’il avait projeté se changea en un séjour de cinq ans. De 1799 à 1804, il explora les pics gigantesques et les volcans redoutables des Cordillières, les plaines qui s’étendent à leur pied, les fleuves qui prennent naissance dans leurs gorges profondes. Il visita aussi les principales îles du golfe du Mexique, et lorsque, profitant de la neutralité des États-Unis, le jeune voyageur revint en Europe, il apportait d’admirables matériaux que toute son activité n’a pu encore épuiser.

C’est à Paris que M. de Humboldt vint se délasser de son voyage et publier le fruit de ses lointaines recherches. A vrai dire, cette ville était pour lui une seconde patrie. Laplace, Berthollet, Laurent de Jussieu, Cuvier, Arago, Biot, Brongniart, Gay-Lussac, Thénard, tous ces hommes déjà illustres ou en voie de le devenir, l’accueillaient comme un frère, et il était membre de la célèbre société d’ Arcueil, réunion bien rare d’hommes qui surent être savans et rester amis. Bientôt il se montra digne de cet entourage. Partageant ses journées entre le cabinet de Cuvier et le laboratoire de Gay-Lussac, il publie coup sur coup une foule d’écrits importans sur les sujets les plus variés. Ce sont tantôt des observations