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de saisir et de formuler les lois générales qui, régissant les mille parties de ce grand tout, en font une unité dans le temps et dans l’espace, soit une entreprise à effrayer les plus hardis ? Et pourtant telle est l’œuvre vers laquelle l’esprit humain paraît invinciblement entraîné. De tout temps, les philosophes, ces prédécesseurs de nos savans, ont été cosmologistes. Pour eux, il n’existait, à proprement parler, qu’une seule science, et c’était principalement à l’explication de l’univers qu’ils appliquaient le savoir imparfait de leur époque, que chacun d’eux possédait à peu près en totalité. Chez les peuples de l’Orient, chez nos ancêtres de l’Occident, et jusque dans ce moyen-âge dont nous sommes les héritiers immédiats, partout nous voyons le problème abordé et résolu à l’aide d’hypothèses presque toujours liées à des croyances religieuses. Plus sévère, la science moderne, appelant à son aide l’expérience et l’observation, jeta par terre ces échafaudages de faux savoir et proclama la nécessité des notions positives. Entraînée par une réaction naturelle, dominée par l’immensité de la tâche qu’elle s’imposait, elle répartit en quelque sorte l’ouvrage à chaque travailleur en les isolant les uns des autres. Astronomes, physiciens, chimistes, zoologistes, botanistes, se mirent à l’œuvre chacun de son côté, et, sans s’inquiéter des progrès accomplis autour d’eux, ne songèrent qu’à avancer le plus loin possible dans leur voie particulière. Bientôt tout lien disparut entre les diverses fractions de l’antique philosophie, et l’on put croire que la science une des siècles passés était à jamais remplacée par une multitude de sciences.

Cependant on ne tarda pas à reconnaître qu’il n’en était pas ainsi. Partis de points divers et entraînés par l’étude de phénomènes en apparence parfaitement indépendans les uns des autres, les savans se rencontrèrent avec surprise sur des terrains communs. Le physicien et le chimiste étudièrent chacun à son point de vue les agens qui semblent gouverner la matière, et le calorique, la lumière, l’électricité, les obligèrent à mêler pour ainsi dire leurs études. Le minéralogiste emprunta les secours de la physique et de la chimie pour reconnaître la forme et la composition de ses roches ; il leur donna en échange ces cristaux, dont les propriétés étranges ont éclairé d’un jour tout nouveau les lois de la polarisation magnétique, lumineuse, électrique. Les trois sciences que nous venons de rappeler, d’abord consacrées uniquement à l’examen de la matière inerte, ne tardèrent pas à se trouver en contact avec celles de leurs sœurs qu’occupait l’étude des êtres vivans. Déjà la botanique et la zoologie s’étaient disputé des classes entières d’êtres ambigus ; elles s’étaient rencontrées dans le champ de la physiologie pour marcher plus tard côte à côte dans les voies, encore si peu explorées, de la biologie. La géologie, la paléontologie surtout, cette fille cadette et déjà si grande du savoir moderne, révélèrent de nouveaux rapports