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ni volonté ni énergie politique. Ils se tinrent à l’écart, et l’action resta aux exaltés et aux turbulens, aux bouchers et à leurs alliés. Ceux-ci précipitèrent par des excès intolérables une réaction qui amena leur chute, leur bannissement et l’abandon des réformes obtenues à si grande peine. Trois mois après sa promulgation, l’ordonnance du 25 mai fut annulée[1].

Ainsi des hommes du tiers-état, portés par une crise révolutionnaire à s’investir eux-mêmes du pouvoir constituant, eurent au commencement du XVe siècle la pensée de refondre d’un seul jet l’administration du royaume, de lui donner des principes fixes, une base rationnelle et des procédés uniformes. Si le plan qu’ils rédigèrent ne fut pas même essayé, il resta comme un monument de sagesse politique, où se montre d’une manière éclatante l’espèce de solidarité qui liait dans une même cause toutes les classes de la roture. Les commissaires délégués par la ville et l’université de Paris ont fait ce qu’aux états-généraux firent les députés du corps entier de la bourgeoisie ; ils se sont occupés de la population des campagnes, ils ont pris à son égard des mesures qui témoignent à la fois de leur sympathie pour elle et des progrès survenus dans son état depuis la fin du XIIe siècle. Depuis lors, en effet, l’affranchissement collectif des paysans par villages et par seigneuries avait toujours gagné en fréquence et en étendue. Une sorte d’émulation se déclarait sur ce point entre les propriétaires de serfs, et le mobile en était double ; d’une part, le sentiment chrétien plus fort et mieux obéi, de l’autre, l’intérêt personnel plus éclairé, conseillaient la même chose, et parfois le style des chartes présentait l’alliance bizarre de ces deux motifs d’action[2]. Parmi les villages affranchis en foule dans le XIIIe et le XIVe siècle, beaucoup prirent de nouveaux noms exprimant leur nouvel état, et tous ou presque tous obtinrent une forme plus ou moins complète de régime municipal. Ce régime, en s’appliquant aux campagnes, y propagea le nom de commune, qui servait à le désigner dans les villes du centre et du nord, et de là vint le mouvement de déviation qui a fait perdre à ce mot son premier sens, si restreint et si énergique. Quelque grande qu’ait été, dans le cours des XIIIe et XIVe siècles, la multiplication des communes rurales, elle n’amena point pour les classes agricoles cette unité d’état civil qui existait pour la bourgeoisie d’un bout à l’autre du royaume ; la condition des paysans, résultat

  1. Hist. de Charles VI, par Juvénal des Ursins, Mémoires, etc., t. II, p. 485 et suiv. -Extrait des registres du parlement, Recueil des Ordonnances des rois de France, t. X, p. 140, note. — Ordonnance du 5 septembre 1413 ; ibid., p. 170.
  2. Charte donnée aux habitans du village de Perrusses par Guy, sire de Clermont (1383), Recueil des Ordonnances des rois de France, t. VII, p. 32. — Charte donnée aux habitans de Coucy par Enguerrand, sire de Coucy (1368), ibid., t. V, p. 154. — Charte donnée aux habitans de Joigny par Jehans, comte de Joigny (1324), ibid., p. 379.