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administration sans règles, aux dilapidations de tout genre, on vit se joindre la folie du roi, les querelles des princes, la guerre civile et bientôt l’invasion étrangère. La réaction de 1383 avait fait à la haute bourgeoisie des plaies beaucoup plus profondes que celle de 1359. Celle-ci l’avait frappée simplement dans ses ambitions politiques, l’autre l’avait appauvrie, dispersée, privée de son lustre et de son influence héréditaire. La ville de Paris, entre autres, se trouvait déchue de deux manières, par la perte de ses franchises municipales et par la ruine des familles qui l’avaient gouvernée et conseillée dans le temps de sa liberté. Cet abaissement de la classe supérieure, composée du haut négoce et du barreau des cours souveraines, avait fait monter d’un degré la classe intermédiaire, celle des plus riches parmi les hommes exerçant les professions manuelles, classe moins éclairée, plus grossière de mœurs, et à qui la force des choses donnait maintenant l’influence sur les affaires et l’esprit de la cité. De là vint le caractère de démagogie effrénée que montra tout d’un coup la population parisienne, lorsqu’en l’année 1412, ayant recouvré ses franchises et ses privilèges, elle fut appelée de nouveau par les événemens à jouer un rôle politique[1].

L’un des princes qui se disputaient à main armée la garde et le pouvoir du roi privé de sens, le duc de Bourgogne, pour accroître ses forces, s’était fait l’allié de la bourgeoisie et le défenseur des intérêts populaires. Cette politique lui réussit ; il devint maître des affaires, et le rétablissement de la vieille constitution libre de Paris fut son ouvrage. Reprises après une suspension de plus d’un quart de siècle, les élections municipales donnèrent un échevinage et un conseil de ville presque entièrement formés de gens de métier, et où dominaient, par la popularité jointe à la richesse, les maîtres bouchers de la grande boucherie et de la boucherie Sainte-Geneviève. Ces hommes, dont la profession allait de père en fils depuis un temps immémorial, et pour qui leurs étaux étaient une sorte de fiefs, avaient autour d’eux une clientelle héréditaire de valets qu’on nommait écorcheurs, classe abjecte et violente, toute dévouée à ses patrons, et redoutable à quiconque ne serait pas de leur parti dans le gouvernement nouveau. Ce gouvernement eut l’affection du menu peuple et devint un objet d’effroi pour la bourgeoisie commerçante et pour ce qui restait de familles décorées d’une ancienne notabilité. Aux passions du parti qu’on appelait bourguignon il associa les violences démagogiques, et l’autorité, se faisant soutenir par des émeutes, passa bientôt du conseil de ville à la multitude, des maîtres bouchers aux écorcheurs. L’un d’entre eux, Simon Caboche, fut l’homme d’action de cette seconde époque révolutionnaire,

  1. Chron. Du religieux de Saint-Denis, t. IV, p. 606. – Ordonn. De Charles VI du 20 janvier 1412 (1411 vieux style), Recueil des Ordonnances, t. IX, p. 668.