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de 1357 ; on le retrouvera au même poste à toutes les époques de crise sociale, jusqu’à la révolution suprême, 1789, et à son appendice, 1830.

Je reprends le fil du récit au règne de Charles V. Ce prince recouvra une à une les portions démembrées du royaume ; il rendit la France plus forte au dehors, et au dedans plus civilisée ; il fit de grandes choses en dépensant beaucoup, et trouva le moyen de lever plus d’argent que ses prédécesseurs, sans recourir aux états-généraux et sans soulever de résistances ; tout resta calme tant que sa main fut là pour tout concilier et tout régler. Il établit, sous le nom d’aides ordinaires, la permanence de l’impôt, violant du même coup les franchises féodales et les franchises municipales ; il le fit avec décision, mais, à ce qu’il semble, avec scrupule, et il en eut du regret à son lit de mort[1]. C’était, en effet, quelque chose de grave et de triste : la royauté se trouvait pour la première fois en opposition avec la bourgeoisie ; le nouvel ordre monarchique était divisé contre lui-même par la question de l’impôt régulier, question vitale qu’il fallait résoudre, et qui, à l’avènement de Charles VI mineur, ne pouvait l’être ni dans un sens ni dans l’autre.

L’impression qu’avaient produite les paroles de repentir attribuées au roi défunt ne permettait pas de continuer d’autorité la levée des subsides généraux, ni d’en espérer la concession par les trois états réunis. Les tuteurs du jeune roi essayèrent, comme moyen terme, des convocations de notables et des pourparlers avec l’échevinage de Paris ; mais il n’en résulta rien qu’un surcroît d’effervescence populaire et les menaces d’émeute, en présence desquelles l’échevinage prit de grandes mesures d’armement pour le maintien de l’ordre public et la défense des libertés de la ville[2]. Cette attitude de la bourgeoisie parisienne parut quelque chose de si redoutable aux princes gouvernans, que ceux-ci rendirent une ordonnance abolissant à perpétuité les impôts établis sous quelque nom que ce fût, depuis le temps de Philippe-le-Bel[3]. Il leur fallut dès-lors administrer avec les seuls produits du domaine royal, et bientôt, à bout de ressources, ils se décidèrent timidement à frapper d’une taxe les marchandises de toute sorte. Ce fut le signal d’une rébellion armée. Le bas peuple et les jeunes gens de Paris, forçant l’arsenal de la ville, s’emparèrent des maillets de combat qui s’y trouvaient en grand nombre, et coururent sus aux fermiers de la taxe, aux collecteurs et aux officiers royaux, massacrant les uns et forçant les autres à s’enfuir. L’exemple de Paris fut imité, avec plus ou moins de violence, dans les principales villes des provinces du centre et du nord.

  1. Chronique de Froissart, liv. II, ch. LXX.
  2. Histoire de Charles VI, par Juvénal des Ursins, nouvelle collection de Mémoires pour servir à l’histoire de France, t. Il, p. 343. — Ibid., p. 348.
  3. Ordonnance du 16 novembre 1380, Recueil des Ordonnances des rois de France.