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difficultés qu’elle présente la feront sans doute ajourner à l’année prochaine. Le rapport de la commission chargée d’examiner la proposition de l’honorable M. Delessert est venu compliquer un débat dans lequel la chambre s’est peut-être un peu témérairement engagée. La commission s’est montrée plus rigoureuse que M. Delessert à l’égard des concessionnaires de mines. Elle propose de déclarer que toute réunion de mines non autorisée par le gouvernement pourra donner lieu au retrait des concessions, après une enquête, si la réunion est de nature à inquiéter la sûreté publique ou les besoins des consommateurs. L’illégalité des réunions houillères est donc déclarée en principe. Elles ne pourront exister qu’à titre de tolérance. Elles sont tenues pour suspectes. Il suffira d’une grève, d’une émeute, d’un complot d’intérêts privés, pour que le gouvernement, effrayé par des clameurs, les frappe au nom de la loi. On ne veut pas que les associations houillères puissent alarmer les esprits ! mais depuis quand une industrie peut-elle être déclarée responsable des inquiétudes, vraies ou fausses, qu’elle soulève ? Dans un pays où il est si facile d’émouvoir les passions de la foule, où les grandes situations sociales sont attaquées et dénigrées, où les mots de monopole et d’aristocratie financière produisent si aisément l’effet qu’on cherche, quelle industrie pourra désormais prospérer, s’il suffit, pour la ruiner, de dire qu’elle fait des progrès inquiétans ? Sa prospérité deviendra un délit ; l’humilité de sa fortune sera la condition de son repos. On veut empêcher le monopole des houilles ! Il aurait fallu d’abord examiner attentivement si ce monopole existe quant à présent. Sur la foi de quelques documens inspirés par des rivalités locales, on a accusé de monopole la compagnie des mines de la Loire ; il est à regretter que, dans une accusation si grave, on se soit dispensé d’apporter ses preuves. Or, il est avéré aujourd’hui que la compagnie des mines de la Loire n’a pas exagéré ses prix, et qu’elle n’a pas abaissé les salaires. Si elle occupe un territoire étendu, il y a dix compagnies houillères, en France, qui occupent un territoire plus vaste que le sien, et il y en a vingt qui possèdent chacune un bassin tout entier, tandis qu’elle ne possède que le quart du bassin de la Loire. Admettons qu’elle soit prépondérante sur ce bassin ; mille raisons, tirées de son intérêt même ou de la nature de sa situation, l’empêcheront de faire la loi aux consommateurs. Une grande compagnie industrielle est tenue d’être modérée pour se concilier l’opinion ; une grande exploitation houillère entourée des industries qu’elle alimente doit éviter de les froisser, car en les opprimant elle nuirait à ses propres intérêts. Enfin, pour ce qui regarde la compagnie de la Loire, il serait difficile qu’elle abusât du monopole, puisqu’en réalité elle ne l’a point. Que l’on jette les yeux sur la carte houillère de la France, et l’on verra que le bassin de la Loire est entouré d’autres bassins dont quelques-uns, plus étendus que lui, viennent faire concurrence à ses produits jusque dans le rayon où s’exerce plus particulièrement son influence. A vingt lieues au-delà de ses limites, il rencontre les charbons d’une foule de bassins rivaux, qui le forcent de baisser ses prix. Avec les chemins de fer qui vont rayonner en tous sens dans cette partie de la France, avec les canaux, avec les fleuves dont le cours sera amélioré, cette concurrence extérieure, qui refoule les produits du bassin de la Loire, l’environnera d’un cercle étroit qui se resserrera de plus en plus. Telle sera, du reste, d’ici à peu d’années, la condition de nos bassins houillers sur tous les points du royaume. Ceux qui, grace à leur isolement et à la rareté