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non équivoque de la chambre décida le gouvernement à une intervention armée dont il avait jusqu’alors décliné le principe. En vertu de cette résolution concertée avec ]’Angleterre, quinze cents Français se trouvent, à l’heure qu’il est, réunis dans les eaux de la Plata aux trois mille sept cents hommes de troupes anglaises qui montent en ce moment la flotte britannique. Mais quel est le but de cette intervention, quelle en doit être la limite ? M. le ministre des affaires étrangères s’efforce de la restreindre à l’exécution littérale de l’article 4 du traité de 1840, qui garantit l’indépendance de la république de l’Uruguay, et il déclare que le seul but à atteindre par la France consiste à empêcher le gouvernement argentin d’envoyer des renforts sur l’autre rive du fleuve. Il n’aspire, en un mot, à d’autre résultat qu’à protéger l’état de Montévidéo contre les agressions directes de Rosas. M. Thiers a établi que tel n’a pas été le but unique de l’intervention à laquelle le cabinet s’est trouvé poussé par l’opinion publique après le grand débat provoqué par lui ; il s’est attaché à constater que le but principal que se proposait la chambre était le salut de la légion et de la nombreuse population française fixée sur ces rivages, et il a demandé si ses jours et sa fortune sont moins menacés par les soldats d’Oribe qui bloquent Montévidéo que par ceux de Rosas, allié et pourvoyeur de ce chef de parti. Ainsi posée, la question n’est assurément pas douteuse. Quoi qu’en ait pu dire M. l’amiral de Machau, les embarras et les périls de Montévidéo s’aggravent chaque jour, et ce n’est pas en se bornant à garder le cours du fleuve et à occuper l’île de Martin-Garcia que l’escadre anglo-fançaise ramènera la sécurité dans la ville assiégée.

Mais faut-il opérer un débarquement pour chasser Oribe ? Faut-il lever le blocus, au risque d’avoir à recommencer trois mois après ? Faut-il tenter une expédition contre Buénos-Ayres même, sauf à voir la guerre se prolonger indéfiniment dans les pampas ? Devons-nous nous exposer à prendre sous notre tutelle le gouvernement qui sortirait, dans la Bande Orientale, des ruines de la dictature de Rosas ? Ce sont là des chances bien incertaines, de bien sérieuses extrémités. Que M. Guizot ait eu grand tort de jeter les soldats de la France sur les rochers des Marquises, cela est assurément trop certain ; que la chambre ait rendu un grand service au pays en s’opposant à l’entreprise de Madagascar, cela n’est pas moins démontré : c’est ce qu’a fait heureusement ressortir l’orateur ; mais l’on peut dire que le principal effet de ces combinaisons malheureuses a été de dégoûter pour long-temps la France de toutes les expéditions lointaines dont le but n’est pas d’une utilité immédiate. Aussi les conclusions de ce débat, si éclatant d’ailleurs, n’ont-elles pas été nettement saisies par la chambre, et c’est ainsi que s’explique en partie le chiffre élevé de la majorité ministérielle. La majorité de 85 voix qui s’est rencontrée sur cet incident est loin d’exprimer la situation vraie du cabinet au sein du parlement. Cette situation ne sera nettement dessinée que par le vote sur les fonds secrets. L’amendement de confiance paraît devoir être posé sur ce chapitre par M. Odilon Barrot lui-même. Dans ce dernier débat, tous les orateurs parleront par la fenêtre, et les paroles iront aux électeurs beaucoup plus qu’aux députés. C’est qu’en effet le rôle des uns est fini, et que celui des autres commence.

La chambre a mis à l’ordre du jour la question des mines de la Loire. Nous ne pensons pas que cette grave question puisse être discutée cette année. Les