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de l’amortissement au-dessous du pair ; la troisième, c’est que vos budgets ordinaires ne présenteront plus de découverts et n’emprunteront plus rien à la réserve ; enfin, la quatrième, c’est que vous n’entreprendrez pas de nouveaux travaux. »

Imposer de telles conditions à la libération financière de la France au bout de dix années, c’est manifestement la déclarer impossible. Depuis six ans, tous les budgets ordinaires se soldent en déficit, et il n’est pas d’exercice où les crédits extraordinaires ne viennent déranger un équilibre factice. Les nécessités inhérentes à l’occupation de l’Afrique, et les chances imprévues que cette occupation comporte, rendraient à elles seules à peu près irréalisable l’hypothèse posée par l’honorable M. Bignon, et à laquelle il ne croit pas plus que nous. Est-il également permis de supposer que d’ici à dix ans la France n’entreprendra plus un seul bout de chemin de fer ou de route royale, qu’elle n’aura plus d’édifices publics à reconstruire, pas de ports à protéger contre l’invasion des sables, pas de fleuves à endiguer ? Est-il admissible enfin qu’en face de tant d’impatiences locales allumées et systématiquement entretenues par l’administration elle-même, le ministère aura l’énergie nécessaire pour résister à toutes les sollicitations, et passer d’une activité exagérée à une immobilité absolue ? Évidemment une telle supposition n’est sérieuse pour personne, et pour M. le ministre des finances moins que pour tout autre. Quant à la condition de la paix générale pendant dix ans, nous ne nous refusons pas à l’admettre comme une éventualité ; nous reconnaissons volontiers que notre gouvernement fera tous ses efforts pour réaliser de son côté cette partie principale du programme tracé par la commission des finances, et l’on va même jusqu’à supposer que c’est pour rendre la guerre plus difficile qu’il a systématiquement engagé notre avenir financier pour une période de dix années. Malheureusement cette bonne volonté pour conserver la paix du monde n’empêchera rien au jour d’une crise européenne ; si les vieilles sociétés se décomposent et si un grand but est un jour montré à l’activité de la France, elle ne consultera guère l’état de son budget avant de prendre son parti. La guerre ne saurait être aujourd’hui, pour aucun gouvernement, une affaire de calcul, car un tel calcul serait absurde ; mais ce n’est pas une raison pour que les peuples ne s’y engagent pas par entraînement, et, dans ce cas, la politique financière suivie par le cabinet n’aurait d’autre effet que de compliquer les embarras de la guerre par ceux de la banqueroute.

Cessation de toute espèce de travaux publics en dehors de ceux qui sont déjà votés, absence de toute dépense extraordinaire en Algérie, paix universelle au dehors, fertilité et abondance au dedans, voilà donc les conditions imposées à notre libération financière après 1857. Jusque-là, nous sommes sous le coup d’engagemens étroits, toutes nos ressources et toutes nos réserves ont une destination spéciale, et quelques jours de panique à la bourse, dont l’effet serait de rendre l’amortissement à sa destination obligée, suffiraient pour arrêter tous les services publics et mettre la France hors d’état de satisfaire à ses engagemens.

Mais ce n’est pas tout. Nous avons raisonné dans l’hypothèse qu’aucune altération ne viendrait atteindre les recettes du trésor pendant une période décennale, et nous sommes en présence d’une résolution de la chambre des députés qui réduit l’impôt du sel des deux tiers, et d’un projet du gouvernement qui ne peut manquer d’affecter gravement le produit des postes. Enfin la chambre vient