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science, une adresse que nous y chercherions vainement, nous serions encore forcé de ne pas approuver le choix du sujet. L’exécution la plus habile rachèterait à peine les inconvéniens d’une telle conception. Or, dans le Chactas de M. Gruyère, l’exécution ne vaut pas mieux que la conception. Nous sommes donc forcé de blâmer sans restriction le Chactas de M. Gruyère.

Un Chasseur indien surpris par un boa, de M. Ottin, offre au spectateur un groupe d’une composition symétrique et sans énergie. La tête du chasseur n’exprime pas assez clairement l’effroi. La poitrine et les bras sont indiqués plutôt qu’étudiés. Le mouvement du cheval, qui devrait exprimer tout à la fois l’épouvante et la souffrance, puisque le boa s’enroule autour de ses flancs, a quelque chose de théâtral et d’apprêté qui détruit tout l’effet de la scène que M. Ottin a voulu représenter. Quant au boa, il est lui-même placé avec une telle précision en face du chasseur, il tend si bien le gosier à la flèche qui le menace, qu’il semble défendre au spectateur de s’épouvanter. M. Ottin, en composant ce groupe, me paraît avoir entrepris une tâche au-dessus de ses forces. Non-seulement l’exécution du cavalier, du cheval et du boa, n’est pas assez avancée, mais encore l’attitude des trois acteurs de cette scène n’est pas ce qu’elle devrait être. Pour traiter un pareil sujet, la science ne suffirait pas, il faudrait une imagination ardente, une pensée énergique. Or, dans le groupe que nous étudions, l’œil le plus complaisant ne saurait découvrir ces deux qualités si impérieusement exigées, qui seules peuvent exciter l’intérêt. Si M. Ottin est entouré d’amis éclairés, il ne se compromettra plus désormais dans des entreprises aussi périlleuses, il consultera ses forces avant de se mettre à l’œuvre, et sans doute alors nous pourrons le juger avec plus d’indulgence.

La Vierge enseignant à son fils à bénir le monde convient mieux à la nature du talent de M. Ottin. Un tel sujet n’exige en effet ni ardeur ni énergie. L’élégance et la grace suffiraient pour contenter le spectateur le plus sévère ; mais, pour atteindre ces deux qualités précieuses, il faudrait étudier avec soin les plis de la draperie aussi bien que les traits du visage. Or, c’est ce que M. Ottin n’a pas su ou n’a pas voulu faire. Il a été trop indulgent pour lui-même et s’est contenté trop facilement. La tête de la Vierge est modelée sans finesse ; le torse de l’enfant Jésus est trop court ; la main qui bénit le monde n’est qu’ébauchée. Quant aux draperies, elles manquent de souplesse et d’élégance. La donnée choisie par M. Ottin ne pouvait être rajeunie que par le charme de l’exécution. Or, le groupe dont nous parlons n’est pas étudié. Pour obtenir l’attention, pour conquérir la sympathie, il faut une persévérance, une sévérité pour soi-même, dont l’auteur ne paraît pas comprendre la nécessité. Ici le sujet n’était pas au-dessus de ses forces, et pourtant il n’a pas réussi parce qu’il n’a pas mesuré toute l’étendue de sa tâche.