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s’il n’a pas rencontré la grace et la simplicité imposées par le sujet, il a montré dans l’exécution de plusieurs morceaux une science, une adresse à laquelle nous ne sommes pas habitués. La tête, il est vrai, a le grave défaut d’être insignifiante, mais elle est modelée avec fermeté. C’est pourquoi M. Vilain, mérite d’être encouragé, et la sévérité même avec laquelle je signale jusqu’aux moindres défauts de sa composition doit lui prouver que je suis loin de considérer son œuvre comme dénuée d’importance. Si je n’y trouvais pas le germe d’un talent qui doit grandir et se développer avec le secours de l’étude et de la réflexion, je n’aurais pas pris la peine de le discuter comme je viens de le faire.

Le Mutius Scoevola de M. Gruyère a déjà été exposé l’année dernière à l’école des Beaux-Arts. C’est un ouvrage envoyé de Rome, selon l’obligation imposée aux élèves de l’Académie. Sous quelque point de vue qu’on envisage cette figure, que l’attention se porte sur la composition ou sur l’exécution, il est impossible de trouver dans cette statue une qualité digne d’éloge. La tête n’est pas seulement insignifiante, elle est vulgaire jusqu’à la trivialité. Il y a une évidente contradiction entre l’expression du visage et l’action que l’auteur a voulu représenter. Que voyons-nous en effet dans le visage que M. Gruyère a donné à Mutins Scoevola ? Une espèce d’emphase théâtrale. Nous y chercherions vainement le signe de la force et d’une résolution héroïque. Parlerai-je de la manière dont les jambes sont placées ? Le mouvement général de la figure est également malheureux sous le double rapport des lignes et de la mise en scène. Quoique l’action racontée par Tite-Live exprime plutôt l’énergie morale que l’énergie physique, cependant il semble impossible que le statuaire s’abstienne, en traitant un pareil sujet, d’attribuer au héros une force musculaire en harmonie avec la force morale nécessaire à l’accomplissement de cette action. C’est pourtant ce que M. Gruyère a cru pouvoir faire. Après avoir donné à Mutius Scoevola une tête sans énergie, il lui a donné un torse et des membres empreints du même caractère. Avec la meilleure volonté du monde, il est donc impossible de se montrer indulgent pour cette figure. En présence d’une œuvre aussi complètement dépourvue de vérité, la critique n’a pas, de conseils à donner. Quant au Chactas du même auteur, sans vouloir proscrire d’une façon absolue les sujets de ce genre, nous pensons toutefois qu’ils conviennent plutôt à la peinture qu’à la statuaire. Nous sommes loin de croire que la statuaire doive s’enfermer obstinément dans les sujets antiques ; toutefois il y a certaines lois, telles que l’harmonie linéaire, que la statuaire ne doit jamais oublier. Or, en admettant que l’attitude donnée à Chactas par M. Gruyère soit vraie, il est impossible de ne pas reconnaître qu’elle offre un ensemble de lignes dépourvu d’élégance et d’harmonie. C’est pourquoi, lors même que l’auteur eût réussi à traiter chaque partie de cette figure, avec une