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reproche plus grave. Cette figure ne peut être vue que d’un seul côté. Pour la juger de la manière la plus avantageuse, il faut la regarder en face ; si l’on en veut faire le tour, il est impossible de rencontrer un ensemble de lignes satisfaisant. Si l’on se place à gauche, la jambe droite disparaît complètement ; si l’on se place à droite, le mouvement du bras qui tient la lyre blesse les yeux les plus indulgens ; enfin, si l’on se place derrière la figure, il devient impossible de deviner la forme du corps. On n’aperçoit plus qu’une draperie capricieusement ajustée, dont les plis manquent d’élégance et semblent ne poser sur rien. Il est facile maintenant de comprendre pourquoi nous préférons la Phryné à la Poésie légère. La Phryné rappelait plusieurs morceaux de sculpture antique, mais on en pouvait faire le tour. La Poésie légère, malgré le mérite éminent qui la recommande à l’attention et à l’estime des connaisseurs, n’est pas un ouvrage complet, parce qu’elle ne satisfait pas à l’une des conditions fondamentales de la statuaire, je veux dire l’harmonie des lignes.

Il y a, dans l’Hébé de M. Vilain, plusieurs parties étudiées avec soin. La poitrine et les bras se recommandent par une remarquable habileté d’exécution. L’auteur a profité dignement des leçons de M. Pradier. Malheureusement la conception de cette figure est loin de valoir l’exécution. Je ne veux pas m’arrêter à critiquer la draperie, dont les plis sont ajustés d’une façon mesquine et enveloppent les jambes sans en laisser deviner la forme assez clairement ; mais le mouvement du bras droit n’est pas motivé. Il est trop évident que ce mouvement ne convient pas à la figure ; il manque de grace, et ce n’est pas le seul reproche que nous puissions lui adresser : il semble qu’Hébé se prépare à verser sur sa tête le nectar qu’attendent les dieux. Il est probable que M. Vilain n’a cherché dans ce mouvement que l’occasion de montrer son savoir et d’étudier les muscles de l’aisselle et du bras. Si nous ne pouvons nier qu’il n’ait fouillé le marbre avec une rare adresse, nous persistons à penser que le mouvement du bras n’est pas ce qu’il devrait être. Quant à la manière dont M. Vilain a placé la coupe dans la main gauche, nous ne saurions l’approuver. Cette coupe, placée dans la paume de la main, manque d’ailleurs d’élégance. Je ne comprends pas comment M. Vilain, qui a passé cinq ans en Italie, et qui a eu sous les yeux toutes les richesses du Vatican, n’a pas senti le besoin de consulter, pour ce détail si important dans sa composition, les monumens de l’art grec et de l’art étrusque. Il est évident qu’Hébé devait tenir la coupe entre ses doigts et non dans la paume de la main. Il y avait dans cette manière de placer la coupe une belle occasion pour l’auteur de déployer toute l’habileté acquise sous les yeux de son maître et en présence des monumens antiques. Malgré toutes ces critiques, il y a certainement beaucoup à louer dans l’Hébé de M Vilain. S’il n’a pas donné à cette figure l’attitude et le caractère que nous avions le droit d’espérer,