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une sévérité exempte à la fois de sécheresse et d’emphase. Le parti qu’il a choisi n’a rien de monumental.

Anacréon et l’Amour, la Sagesse repoussant les traits de l’Amour, sont deux groupes traités avec élégance, mais n’ajouteront rien à la renommée de l’auteur. La tête de l’Anacréon est copiée sur un buste du musée de Naples. Quant à la Minerve, qui rappelle la Minerve étrusque de la villa Albani, sa main droite n’est pas exécutée avec une précision suffisante, et les fossettes placées à la naissance des phalanges sont exagérées d’une façon que j’ai peine à comprendre.

La figure de la Poésie légère ne vaut pas, à mon avis, la Phryné si justement applaudie l’année dernière. Ce n’est pas qu’on n’y retrouve le même prestige d’exécution, la même science, la même souplesse, la même vérité dans les détails ; mais la Phryné avait bien le caractère que l’auteur avait voulu lui donner, le caractère indiqué naturellement par le sujet, tandis que la figure de la Poésie légère n’a rien de ce qui peut donner l’idée d’une muse. C’est tout au plus une danseuse, ou mieux encore une bacchante. Il faut donc renoncer à chercher dans cette figure l’expression que le sujet semblait indiquer. Il faut l’accepter et la juger comme une bacchante. Or, il y a dans l’exécution de cette figure un talent qu’on ne saurait trop louer : le marbre vit et respire. Assurément ce mérite, si rare parmi les sculpteurs de notre temps, suffirait pour appeler l’admirateur la figure dont nous parlons, et, loin de songer à le contester, nous prenons plaisir à le signaler. Cependant ce mérite, si éclatant qu’il soit, ne saurait nous ôter le droit de dire avec une franchise absolue ce que nous pensons. Or, il nous semble que toutes les parties de cette figure ne sont pas du même âge. La poitrine et les bras sont plus jeunes que le ventre et les membres inférieurs. C’est précisément parce que nous admirons l’habileté de M. Pradier que nous insistons sur ce défaut d’unité. La moitié supérieure et la moitié inférieure de cette figure sont traitées avec un talent pour lequel nous professons l’estime la plus haute ; mais les rares qualités qui distinguent chacune de ces deux moitiés produiraient un effet plus sûr, si l’auteur, au lieu de se contenter de la vérité individuelle des différens morceaux, eût cherché à établir dans son œuvre une harmonieuse unité. Et qu’on ne dise pas que ce sont là de misérables chicanes, qu’on ne dise pas que je fais la guerre à mon admiration et que je m’épuise à chercher des raisons pour ne pas approuver sans réserve ce qui m’a charmé. Mes yeux sont parfaitement d’accord avec ma pensée : les réserves que je crois devoir faire n’altèrent pas ma vive sympathie pour le talent qui a su trouver dans le marbre le mouvement et la vie. La tête de cette bacchante n’est pas aussi bien étudiée que le corps et les membres ; c’est un défaut que plusieurs fois déjà nous avons dû signaler dans les ouvrages de M. Pradier. Nous sommes malheureusement obligé de lui adresser un