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était environné, il les reporta doucement sur cet océan, théâtre ordinaire de ses exploits et témoin de ses triomphes, puis il mourut sans pousser un seul gémissement.

Les bateaux des pirates portent en général de trente à quarante hommes d’équipage. Leur armement consiste en une ou deux pièces de 6 à l’avant, une pièce de 4 à l’arrière, et un grand nombre de fusils, de mousquetons, de lances, d’épées, etc. De fortes planches divisent chaque embarcation en plusieurs parties. Les femmes et les enfans sont placés à fond de cale. Les pirates essaient toujours d’aborder un navire et de l’enlever par le nombre. Si un vaisseau marchand ne réussit pas à les maintenir à distance, il est inévitablement perdu. Le commandement des flottes est confié à un chef supérieur, celui des prahus à un capitaine ayant autour de lui de cinq à dix hommes libres, pris dans sa famille.. Le reste de l’équipage, dépassant les quatre cinquièmes, se compose exclusivement d’esclaves plus ou moins forcés de suivre ce genre de vie. Ces esclaves y prennent goût généralement et s’y livrent bientôt avec une passion égale à celles des hommes libres. Ils sont, d’ailleurs, intéressés à la lutte ; ils ont, comme leurs maîtres, le droit de pillage. La propriété du butin est régie par la vieille maxime primo occupanti, à l’exception de quelques articles réservés au chef et à ses compagnons. Les communautés vouées à la piraterie regardent leur profession héréditaire comme la plus noble et la plus digne que des hommes puissent adopter. Il faut voir avec quelle émotion de respect et d’orgueil ces hardis forbans montrent les épées et les armes de leurs ancêtres, ainsi que des trophées glorieux dont ils doivent soutenir l’éclat !

Les pirates ne se contentent pas de piller sur les mers, ils descendent sur les îles de l’archipel et sur les côtes de Borneo même ; ils surprennent les tribus paisibles, enlèvent les femmes, les enfans, les hommes dont ils ont besoin. Ils s’éloignent ensuite avec leur cargaison et vendent ou déposent dans une autre île le fruit de leur brigandage ; ils placent, par exemple, à l’ouest de Borneo les esclaves pris à l’est, ceux du nord au midi. Les maux dont ils accablent la Malaisie, les dommages qu’ils occasionnent, les obstacles qu’ils apportent au commerce indigène, sont incalculables.

Les Espagnols et les Hollandais, maîtres de vastes territoires dans ces parages, se sont toujours bornés à les éloigner de leurs ports respectifs, sans se préoccuper de les contenir ni d’assurer le commerce des milliers d’îles semées sur ces mers. L’œuvre excède les forces de l’Espagne, trop occupée chez elle pour exercer au loin une action vigoureuse, et la Hollande répugne à l’entretien des forces nécessaires. Si l’on en juge par leur attitude stationnaire sur les côtes de Bornéo, les Hollandais, déchus de leur ancienne grandeur coloniale malgré les beaux débris qu’ils conservent encore., ont renoncé aux larges vues de