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La barbare coutume de couper des têtes règne universellement parmi les Dyaks et même parmi les Malais ; ces derniers, toutefois, ne placent pas les crânes dans leur maison et n’y attachent aucune idée superstitieuse. Les Dyaks, au contraire, les regardent comme un gage de bonheur : plus un homme en possède et plus on le répute heureux et honorable. Un jeune garçon n’oserait prendre une femme, s’il ne pouvait étaler quelques-unes de ces tristes dépouilles. Dans leurs danses sauvages, les jours de fête, on voit les hommes porter sur l’épaule, comme un carquois, un crâne avec sa chevelure ; les femmes ont des colliers de dents humaines. Un jeune chef des Sakarrans, surnommé le Soleil, visitant un jour M. Brooke après son installation, lui témoignait le désir de vivre en paix avec lui ; il acceptait toutes les conditions, renonçait à la piraterie et au pillage, pourvu qu’on voulût bien lui laisser, en témoignage d’amitié, la liberté de couper de temps en temps quelques têtes, une ou deux seulement, disait-il d’un ton suppliant, comme s’il avait demandé la chose la plus naturelle et la plus simple. Malgré cette féroce habitude, ces peuples n’ont aucune idée du cannibalisme ni des sacrifices humains. Dans les transactions les plus solennelles entre les tribus, les hommes échangent quelques gouttes de sang, et s’imaginent, en le buvant, établir entre eux les liens d’une indissoluble fraternité. Le serment, soit dans les traités, soit en justice, leur semble une formalité dérisoire. Ils ne comprennent aucunement l’idée sainte qu’il renferme, et qui a joué un si grand rôle dans la civilisation européenne.

La physionomie des Dyaks annonce un excellent caractère et prévient en leur faveur. Leurs traits sont réguliers et bien dessinés ; les yeux sont plus éloignés l’un de l’autre que chez les individus de la race caucasienne. Leur attitude en présence des étrangers est pleine de réserve ; ils n’aiment ni à recevoir, ni à adresser des questions. Graves comme un peuple opprimé, ils ne s’abandonnent jamais à des éclats de joie. Leur intelligence est comme engourdie ; on en voit peu qui sachent compter au-dessus de vingt. Ils détestent toute espèce de gêne ; ils affectionnent la liberté de leurs bois et de leurs montagnes, et s’épanouissent avec un bonheur visible dans l’insouciance de la vie sauvage.

Quel que soit leur abaissement intellectuel, les Dyaks ne ressentent point, comme les peuples de l’Inde, d’insurmontables préjugés de caste ; ils sont par là même plus accessibles à la civilisation. Leur religion se compose de traditions obscures et grossières ; ils interrogent le vol des oiseaux avec une superstitieuse crédulité. La plupart des tribus n’ont point de prêtres, point de cérémonies religieuses : ces ames naïves ; ignorantes plutôt qu’égarées, s’ouvriraient sans peine aux lumières du.christianisme.

L’oppression dont les Malais accablent cette race malheureuse se traduit