Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujets sont considérés comme sa propriété, mais sa puissance ne s’étend pas loin. L’état du pays, l’indocilité de certaines peuplades, la difficulté des communications avec l’intérieur, l’absence d’un ordre politique ou administratif, restreignent l’exercice de son autorité, La division des races augmente encore la faiblesse du gouvernement central. Les luttes intestines, qui n’ont pas été inutiles à M. Brooke pour son propre agrandissement, pourront devenir plus tard un moyen assuré de conquête. Un seul mot des nouveaux maîtres de Laboan suscitera, quand ils le voudront, une implacable guerre entre des races ennemies.

Trois élémens divers se rencontrent en face les uns des autres sans se mêler jamais : un peuple généralement asservi, les Dyaks, qui ne respirent que la vengeance ; un peuple dominateur, les Malais, qui pratiquent en grand le pillage et l’oppression ; un peuple colon, les Chinois, dont tous les vœux appellent la paix et la sécurité. Les Dyaks paraissent être la race aborigène de l’archipel oriental, restée immobile dans son état primitif. Les nombreux rapports de leurs coutumes et de leur langage avec les mœurs et la langue des Tarajahs de Célèbes, des naturels de Sumatra et des Haraforas de la Nouvelle-Guinée, ne laissent aucun doute sur la parenté de ces rejetons d’une même souche. On donne le nom de Dyaks à toutes les tribus sauvages de Borneo, bien qu’elles reçoivent des appellations particulières et diffèrent souvent par leurs usages. Les unes ne se sont jamais soumises aux Malais, et jouissent dans l’intérieur d’une indépendance primitive, pareille à celle des tribus de l’Amérique lors de l’arrivée des Européens ; les autres subissent le joug des conquérans et cachent une haine féroce sous une apparente résignation. Quelques peuplades sont tatouées avec beaucoup de soin depuis la tête jusqu’aux pieds ; d’autres, au contraire, montrent de la répugnance pour cet usage si répandu parmi les peuples tombés dans l’état sauvage. On en voit de sédentaires et d’industrieuses, s’adonnant à une certaine culture du sol et au travail du fer ; on en rencontre aussi de nomades, vivant de pillage et cherchant les aventures. Les tribus maritimes sont généralement vouées à la piraterie. Le sumpitan est l’arme favorite d’un grand nombre de Dyaks. Le sumpitan a la forme et la longueur d’une lance française, et se termine par un dard aigu. Cette lance est creuse comme une sarbacane ; le sauvage met dans l’intérieur une flèche empoisonnée, et l’envoie en soufflant, avec une adresse étonnante, frapper son ennemi à trente ou quarante mètres. Les villages dyaks se composent quelquefois de vastes maisons divisées en nombreux compartimens pour chaque famille ; ailleurs, les familles habitent de petites cabanes fort simples et isolées les unes des autres. Les jeunes garçons couchent dans de grandes salles publiques ou chambres de réunion placées au milieu du village, et au toit desquelles on suspend les crânes des ennemis vaincus,