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présente, sans comprendre la portée de ses engagemens. Aussi, après la victoire, tâcha-t-il de se soustraire à ses imprudentes promesses. Son hôte se plaint alors de sa trahison, de son ingratitude, de sa mauvaise foi. Il le presse d’exécuter la convention, et soutient cette espèce de débat diplomatique avec beaucoup de courage et d’habileté. Il parvient à inquiéter le rajah sur de prétendus projets du chef de la force armée, Macota, surnommé le Serpent, qui s’opposait aux vues de l’étranger, et lui représenta jusqu’à la fin le parti de la résistance aux concessions du rajah. Muda-Hassim, importuné, se résigne, et, le 24 septembre 1841, M. Brooke est proclamé gouverneur. Il obtient la jouissance de tout le revenu de la province, sauf de légères réserves au profit du sultan. Le rajah s’était obligé, en outre, à laisser à Sarawak un de ses frères, afin d’assurer la soumission des Malais.

Depuis son installation, M. Brooke n’a point cessé de s’agrandir. L’arrivée successive de plusieurs bâtimens de guerre, que le gouvernement britannique, attentif à profiter de toutes les ouvertures, envoya sur les côtes de Borneo, consolida son autorité naissante. Le capitaine Henry Keppel fut suivi de sir Edward Belcher, du capitaine Bethune et du contre-amiral sir Thomas Cochrane. Avant de traiter avec Muda-Hassim de la concession d’une province, son successeur à Sarawak s’était assuré que le rajah possédait de suffisans pouvoirs ; néanmoins il avait à cœur d’obtenir la ratification du gouvernement central. Il souhaitait, d’ailleurs, de rester seul, de se débarrasser du prince et de sa suite ; mais, comme Muda-Hassim était disgracié depuis quelque temps, il fallait le réconcilier avec le sultan, son neveu, avant de le renvoyer auprès de lui. Au mois de juillet 1842, M. Brooke partit pour la ville de Borneo. Il obtint sans beaucoup de peine, d’une cour cupide et divisée, d’un prince faible, la réconciliation du rajah et la ratification de son propre titre. Le sultan l’accueillit même avec une faveur marquée ; il voulut s’entretenir chaque jour avec lui. Il paraît que ce pauvre prince ne peut plus se passer des Anglais. Après la cession de Laboan, il s’écriait : « Je voudrais déjà qu’ils fussent près de moi. » Puissent ses héritiers, sinon lui-même, n’avoir jamais à former un vœu contraire !

M. Brooke ne nous dépeint pas ce singulier personnage sous des couleurs bien flatteuses. « C’est, nous dit-il, un homme de plus de cinquante ans, court et replet, avec une physionomie qui révèle toute la faiblesse de son esprit. La confusion de ses idées se lit dans ses regards ; point de dignité, point de finesse, point de bon sens. Il ne sait ni lire ni écrire ; il est toujours de l’avis de celui qui parle le dernier ; il a pour conseillers des hommes pris dans les derniers rangs, et aussi funestes par leur ignorance que par leur avidité. Il parle sans cesse et généralement pour plaisanter ; aucune matière sérieuse ne peut obtenir de lui cinq minutes