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par la conversion du baron des Adrets. La Coche dut mourir capitaine ainsi qu’il avait vécu.

Des Adrets resta caché un an entre les quatre tours de son château de la Frette, enveloppé de la malédiction des huguenots et de la suspicion des catholiques. La cruauté l’avait fait grand, la trahison le rendit vil ; le crime lui aurait laissé sa réputation de grand capitaine ; par l’abandon de ses principes, il ne nous a transmis que le nom d’un mauvais génie.

Sa vie domestique est si écrasée sous le poids de sa vie d’homme de parti, qu’on n’y découvre aucune affection douce à signaler. On n’apprend qu’il avait deux fils que par leur mort tragique : l’un périt au milieu des assassinats de la Saint-Barthélemy, l’autre au siège de la Rochelle. Qu’il est triste de voir cet illustre scélérat devenir colonel du roi et reprendre une à une, comme catholique, les villes qu’il avait si énergiquement conquises comme huguenot ! Il comprit si bien lui-même son abaissement profond, qu’il refusa d’accepter des mains de Charles IX le collier de son ordre. Rien ne peut plus adoucir son chagrin farouche, ni le bonheur d’avoir échappé à un assassinat, ni la gloire dont il se couvrit à la bataille de Montcontour. Pour dernier châtiment, ceux de son parti, du parti catholique, l’accusent de conspirer contre la France avec Ludovic, comte de Nassau. On l’arrête, on le conduit ignominieusement au château de Pierre-en-Cise, à Lyon. Il demande à se justifier. Présenté à Charles IX, alors à Saint-Germain, il sollicite de la bonté du roi la faveur de se battre en duel avec ses accusateurs. Il avait alors soixante ans. Le roi le relève de l’accusation, et le reprend à son service. Il ne jouit pas tranquillement des avantages de la commisération royale. Les haines du parti qu’il avait quitté, et celles du parti auquel il s’était voué, le chassèrent de nouveau au fond de ses terres de la Frette, où il planta et laboura avec le calme d’un Cincinnatus. Il sortit de son manoir sombre et solitaire quelque temps après. Pardaillan, le fils de La Mothe-Gondrin, poignardé à Valence, avait parlé à Grenoble d’une façon injurieuse du terrible baron, ennemi cruel de son père. Si je le rencontre jamais, avait-il dit, je le traiterai comme il le mérite. Des Adrets se rend à Grenoble, et, en face de Pardaillan, il dit à haute voix : J’ai quitté la solitude et revu le monde, pour satisfaire quiconque a de la rancune contre moi. Mon épée n’est pas si rouillée, ni mon bras si faible et mes forces si diminuées par l’âge, que je ne puisse bien encore faire tête à tous ceux qui ont quelques plaintes à me faire. Pardaillan se tut, des Adrets regagna à pas lents la Frette.

Son habitude était de se promener au soleil, sur la grande route, un bâton à la main. Un jour, l’ambassadeur de Savoie, qui se rendait à Grenoble, l’aperçoit ; il s’arrête, descend de voiture, le salue avec respect et lui demande ensuite ses commissions. « - Je n’ai rien à vous dire, sinon