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toujours avec le même bonheur aux atteintes venimeuses de la guerre civile.

Vienne et Grenoble baissent bientôt le front sous le joug des protestans. La Coche précède dans la dernière de ces deux villes, en 1562, la présence du baron des Adrets, dont le premier soin est d’interdire la foi catholique. Tout prêtre surpris dans l’exercice du culte de cette religion est puni de mort.

Cette même année 1562, les réformés pillent la cathédrale de Grenoble, et mettent en vente les chasubles, les mitres, les reliquaires d’or, les chandeliers d’argent, les missels ornés de diamans. Des Adrets, qui permettait le pillage sans jamais en prendre la plus légère part, souffrit aussi que les anciens dauphins enterrés depuis des siècles dans l’église de Saint-André fussent exhumés et outragés par ses soldats. Tous ces dauphins, premiers souverains du Dauphiné, ayant été scellés dans la tombe avec leurs couronnes, leurs sceptres et leurs anneaux d’or, furent considérés comme des joyaux de bonne prise. On les vendit à l’encan sur la Place aux Herbes de Grenoble, et l’on put entendre cette singulière criée : A vendre dix marcs d’or un dauphin et ses os ! Quelle frappante analogie entre cette profanation et celle des tombeaux de Saint-Denis

De Grenoble, les protestans se rendent au couvent de la Grande-Chartreuse afin de le dépouiller des richesses, fruits de longues aumônes, qu’ils y savaient cachées. La rage qu’ils éprouvèrent de n’y rien trouver, car les religieux avaient pris leurs précautions, les excita à mettre le feu à cet asile de paix et d’innocence.

Des Adrets, dont la sinistre renommée grandissait toujours, reprend Vienne en quittant Grenoble ; il s’empare ensuite de Lyon, d’une cité du premier ordre : il la saccage. Il décapite les saints de tous les portiques religieux, scie les colonnes, déchire les toits de plomb pour en faire des balles. 93 n’a rien de plus énergique à opposer à la conduite du farouche baron, moissonnant à travers le midi des villes entières et les emportant sous son bras comme des gerbes. Sa terrible fantaisie se promène partout sans obstacles. Son ivresse guerroyante est au comble. A qui appartient-il maintenant ? A Guise, à Condé, à Médicis ? On ne le sait plus. Il ne relève plus que de lui-même. Chaque chef de parti en a peur. La France frissonne comme un enfant devant les bottes de sept lieues de l’ogre dauphinois.

Pierrelatte, petite ville forte, ose le braver ; il y court avec son nain terrible, l’honnête La Coche. Il s’empare d’abord de la ville. La garnison du château, trois cents hommes commandés par Vauréas, demande à capituler. — On va les satisfaire, répond le baron en jetant son regard de vautour sur le château perdu à la crête d’une roche aiguë,