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— Eh bien ! répondit-il, je n’ai jamais beaucoup aimé les papistes, à vrai dire ; je ne sais si c’est parce que j’en ai tant tué au sac de Rome… Il me tarde de les larder sous l’aileron. Que d’or il y a dans leurs caves et dans leurs oubliettes !

— En campagne donc, La Coche ! s’écria le baron en frappant sur sa gigantesque épée.

— En campagne donc ! répéta La Coche en frappant sur sa ceinture et sur ses poches.

Au premier appel du baron des Adrets, toute la jeune noblesse dauphinoise, toute la jeune noblesse libertine, dit un historien du Dauphiné, se leva avec enthousiasme et courut aux armes. Vienne était déjà tombée au pouvoir des huguenots, qui y avaient commis de graves désordres. Le baron marcha droit sur Valence, que commandait en personne La Mothe-Gondrin, resté fidèle au roi et à la religion catholique.

L’assaut fut précédé d’un jeûne général de vingt-quatre heures, à la suite duquel les soldats du baron jurèrent de travailler de toute la force de leur corps et de leur ame à la perfection du christianisme. Cette journée, si belle et si pure pour l’armée, faillit devenir des plus funestes au capitaine La Coche. Il s’oublia, ou plutôt il oublia le jeûne solennel. Il fut trouvé dans une attitude qui ressemble peu à celle de la prière. On l’amena pieds et poings liés au baron dans un état à ne laisser aucun doute sur son intempérance. Les fanatiques qui le dénonçaient au baron demandaient qu’il fût pendu sans autre forme de procès.

— Mon pauvre La Coche, lui dit le baron, te voilà dans un état qui ne mérite aucune indulgence.

— Aucune ! crièrent les gens qui l’avaient garrotté ; aucune !

— Quel va être ton sort ? lui dit le baron en regardant les branches d’un arbre placé non loin de cette scène.

La Coche ne répondait pas ; il savait le sort qui l’attendait avec un juge comme le baron.

— Comment ! un jour de jeûne général, tu es gris comme un jour de vendanges ! Tu n’as donc pas lu mon ordonnance ?

— Pardon, mon général ; mais votre ordonnance publiée hier imposait le jeûne aujourd’hui…

— Eh bien ?…

— Eh bien ! voilà quatre jours que je suis gris.

Devant une telle justification, les accusateurs furent confondus. Il n’y avait pas moyen de pendre un homme pour un délit commencé avant la loi qui le rendait punissable, quoique ce délit durât encore. La Coche fut délié.

Après sa délivrance, La Coche se tourna vers le baron des Adrets et lui dit : — Une autre fois, quand vous ferez une pareille ordonnance, prévenez-moi huit jours d’avance.