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On s’aime, on se hait à raison de ces rapprochemens ou de ces antipathies qu’accompagne le mystère. Des signaux sont convenus, des couleurs sont adoptées. Bientôt on se prête des sermens au milieu de la nuit sur le pont qui sépare deux communes, au fond des vallées ou dans une nuit d’orage. Les femmes participent à cette franc-maçonnerie ; elles recueillent des prosélytes, elles brodent des chiffres symboliques, elles composent des prières ; elles seront, quand le feu sera ouvert, sublimes ou cruelles. La flamme de la pythonisse brûle déjà sous leurs pieds.

La défiance augmente, la peur grossit ; on s’arme de toutes parts pour la cause catholique ou pour la cause protestante, pour M. de Guise ou pour MM. de Coligny et de Condé, pour le roi, c’est-à-dire pour Catherine de Médicis, qui est tantôt avec M. de Guise et tantôt avec M. de Condé.

Quel affreux nuage plane et pèse sur la France ! Le midi est déjà sombre ; il tonne dans le lointain. Chaque seigneur rentre dans son château en tournant la tête et en mettant la main à sa ceinture. Avant d’entrer, il examine ses murs. Sont-ils bons ? leur hauteur est-elle rassurante ? Cette porte n’est pas assez ferrée ; la rouille de la paix en a mangé les clous : qu’on les remplace vite ! Attention aux fossés ! attention aux créneaux ! attention à tout !

La tempête avance toujours ; des correspondances s’échangent, afin de s’encourager dans l’attaque comme dans la défense. On sort peu du château ; on ne s’en éloigne pas ; on y fait venir des munitions de la Savoie par les montagnes, des armes de l’Espagne par la mer et les fleuves. Le masque est tombé ; on va se lancer le défi au visage. Toutes les vieilles haines de provinces, de rang, de familles, de castes, se réunissent dans cette nouvelle, jeune et énergique haine, qui les servira toutes, les suppléera toutes, les surpassera toutes. La France avait besoin d’une guerre civile, le calvinisme la lui fournit.

Les protestans devaient naturellement commencer l’attaque, puisqu’ils représentaient le parti des mécontens, celui de la rébellion. Leur premier mouvement fut superbe d’audace et de bonheur. Dans aucun pays, la réforme n’eut de pareil début. En un an (1562), elle prend Orléans, Beaugency, Blois, Tours, Poitiers, le Mans, Angers, la Charité, Bourges, Angoulême, Rouen, Dieppe, Caen, Bayeux, Falaise, Vire, Saint-Lô, Carentan, la moitié de la Normandie et la plus grande partie du Dauphiné et de la Guyenne.

Il était temps de songer à la répression. Catherine de Médicis, qui connaissait les hommes de son siècle, première condition pour bien gouverner, se souvint que le duc de Guise, son cher allié, avait un ennemi implacable, féroce, dans la terrible personne de François de Beaumont baron des Adrets. Elle lui écrivit très secrètement, et voici ses propres paroles : « Qu’il lui ferait plaisir de s’appliquer à détruire