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par M. Doubleday, de Newcastle-on-Tyne, ne tranche pas, comme ce savant le suppose, toutes les difficultés soulevées par Malthus ; mais elle est à coup sûr un des élémens de la solution.

Quand les échos de Malthus répéteront : « Les classes inférieures sont misérables, parce qu’elles mettent au monde beaucoup d’enfans, » retournons la formule, et, prenant l’effet pour la cause, répondons : Elles n’ont trop d’enfans que parce qu’elles sont pauvres et démoralisées par la pauvreté. Veut-on arrêter le débordement de la population, que d’intelligentes réformes élèvent le prolétariat, pour le rapprocher autant que possible du niveau de la bourgeoisie. Améliorer physiquement et moralement les classes inférieures, c’est réduire en nombre les habitans d’un pays et les augmenter en valeur, c’est résoudre le grand problème.

On pourrait conclure de la théorie de Malthus que deux territoires de même étendue, doués d’une égale fécondité naturelle, et avec un même capital disponible, doivent nécessairement fournir un même nombre d’habitans. Ce serait une erreur. Le chiffre de la population sera réglé de part et d’autre par le régime habituel de chaque contrée. Supposez que dans l’un de ces pays la basse classe ait contracté l’habitude d’une nourriture forte et abondante, mais d’une production dispendieuse, et que dans l’autre pays au contraire on se contente d’une maigre pitance obtenue à peu de frais, il est bien évident que les ressources de ce dernier pays pourront être partagées entre un bien plus grand nombre de bouches, et provoquer une population infiniment plus considérable.

Mais observons à quels résultats doivent aboutir ces régimes si différens. D’un côté, une race forte, richement constituée, avec de grands appétits, mais pourvue d’une vitalité proportionnée à l’énergie de ses besoins, douée de cette activité de corps et d’esprit que donne la vigueur musculaire ; de l’autre côté, une fourmilière d’hommes chétifs et timides, sans émulation, parce que leurs besoins sont bornés au strict nécessaire. Dans la race énergique, chacun sentira, en évaluant ses propres besoins, que l’éducation d’un homme est dispendieuse ; on craindra d’infliger aux familles d’insupportables privations en les augmentant outre mesure : assez forte pour résister à la passion, cette race observera par égoïsme, sinon par vertu, la continence si chère à Malthus. La population augmentera moins rapidement que les ressources ; tous les produits ne seront pas consommés, et l’excédant constituera une réserve, un capital disponible, gage de la puissance nationale. Le tableau que je trace représente assez fidèlement ce qui se passe aujourd’hui dans les classes moyennes de l’Angleterre et de la France.

Dans cette autre contrée où l’unique ambition est de ne pas mourir de faim, comment le sentiment de la prévoyance pourrait-il se développer ? L’homme qui a toujours vécu dans les privations et la misère,