Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/627

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un pavillon jusqu’au milieu de la pièce, offrait un sujet mythologique peint par les meilleurs artistes du temps. Voisins de l’Italie, les châteaux du Dauphiné ont été presque tous construits et décorés par des architectes et des peintres de cette intelligente contrée. Sur dix manteaux de cheminée, huit au moins représentaient les travaux d’Hercule, conception symbolique qui plaisait beaucoup et par-dessus tout à ces sauvages châtelains, aux yeux desquels rien n’entrait en parallèle avec la force. Les parquets des appartemens étaient formés, ainsi que dans tous les autres châteaux, et cela jusqu’à la fin du XVIe siècle, de chaux battue et aplanie. Les chambres suivaient à la file les principales dépendances du château, dont les combles restaient toujours vides. C’est l’économie moderne qui a créé les cinquièmes étages, les mansardes, les chambres des domestiques. Excepté le donjon, les autres tours n’étaient ordinairement habitées que jusqu’au tiers de leur hauteur ; elles avaient partout, ainsi qu’à la Frette, des destinations distinctes. Le chartrier était dans une tour, le trésor dans l’autre, et, quand le château avait quatre tours, on y plaçait aussi la chapelle et la salle de haute-justice.

La salle ménagère était précédée d’une autre pièce moins privée et encore plus nue qui servait aux audiences, aux réceptions, et qui, si le degré de souveraineté du seigneur le permettait, se transformait en cour de justice. Une estrade grossière en occupait le fond : là le seigneur écoutait les plaintes, jugeait les différends et recevait la prestation des hommages. A mesure que la civilisation étendit ses bienfaits et ses douceurs, ces diverses distributions revêtirent quelque apparence de luxe. On vit alors, comme au château du baron des Adrets, les murs se couvrir de tapisseries en cuir damasquiné. L’or et la gaufrure, appliqués au cuir avec un art qui pouvait manquer de délicatesse et de goût, mais non d’originalité, relevaient le fond sombre de ces tapisseries tannées, dont l’usage n’a entièrement cessé que vers le milieu du XVIIIe siècle. Quelques châteaux que la bande noire n’a pas déshabillés ont encore ce riche vêtement, ces tapisseries dont la cuirasse, comme l’écaille du crocodile, repousserait le choc d’une balle.

Le parquet de cette pièce, ainsi que celui de la salle ménagère, était jonché en hiver de paille fraîche, de feuilles de roseaux, de fougère ou d’algue marine comme en Bretagne. C’étaient là les tapis des Bayard, des Jean-sans-Terre et des Clisson : le baron des Adrets n’en foulait pas d’autre. En été, la verdure remplaçait la paille ; on répandait à profusion sur le parquet du foin, des mousses ou des feuilles de marronniers. Si ce tableau prêtait par hasard à la poésie aux yeux de ceux qui voient tout en beau, pourvu que tout ce qu’on leur montre soit loin, nous nous hâterions de le réduire à sa déplorable valeur. Nos seigneurs du temps passé n’étant ni très soigneux, ni très propres, il arrivait que cette paille et cette verdure, peu souvent renouvelées, se changeaient vite en