— Libertin !
— Tantôt…
— Capitaine La Coche ? interrompit le baron.
— Baron ?
— Tu n’as donc jamais tué pour tuer, uniquement parce que cela te plaisait, comme de boire quand tu as soif ? Tiens, capitaine La Coche, il me semble que tu as donné dans le grossier. Avec ton penchant, je t’aurais cru des goûts plus relevés. Vois-tu ce précipice ouvert sur l’un des flancs de mon château, au fond duquel il roulera un jour ?
— Si je le vois ! répondit le capitaine La Coche en se signant. Il n’est qu’à cent pas de nous, et j’ai le frisson, rien qu’à le voir. Les aigles et les corbeaux partis de la vallée s’arrêtent en chemin dans leur vol, tant il est profond. Son aspect me donne la petite mort.
— Que penserais-tu, capitaine La Coche, d’un homme qu’on pousserait doucement au bord de ce précipice,… qu’on pousserait encore un peu plus, et puis encore un peu plus, jusqu’à ce que ses pieds, ses genoux, sa tête et l’abîme ne fissent plus qu’une seule ligne droite comme un I ?
— Ah ! diable ! fit le capitaine La Coche en s’agitant comme s’il eût été à la place de l’homme planté au bord du précipice.
— Et puis, reprit tranquillement le baron, quand cet homme tremblerait de tous ses membres, quand, en équilibre sur le revers glissant du rocher, il verrait tout tourner autour de lui comme une fronde, que son cerveau serait en proie au délire de la peur, que ses genoux fuyans rentreraient dans son corps, que ses dents claqueraient, qu’il aurait, par l’effet de cette terreur, le cœur blanc comme son visage, les cheveux hérissés, les doigts écarquillés d’épouvante ; que ses yeux, grands ouverts, verraient les pointes des rochers qui vont le trouer, le renvoyer de pic en pic, le briser, le morceler, que dirais-tu, capitaine La Coche, si on le poussait vigoureusement par les reins ?
— Je dirais : Bien fait ! répondit en riant le capitaine La Coche, et en se mouchant d’une manière si aiguë qu’on dut accourir du château ; je dirais : Bien fait ! si on faisait cela pour de l’or, pour dépouiller l’homme après l’avoir prié de descendre.
— Tu ne seras jamais qu’un pillard, dit le jeune baron des Adrets au capitaine La Coche, en haussant les épaules et en entrant avec lui dans son vieux château de la Frette.
Les ruines du château de la Frette appartiennent aujourd’hui à M. le marquis de Marcieu. Elles rampent à terre sous les lianes et le lichen, entre le village de la Terrasse et celui du Touvet. Il s’en détache de loin en loin, au milieu du grand silence de la vallée, quelques débris qui n’ont pas même la force d’aller troubler les eaux bleu d’ardoise de la rivière, car l’Isère coule, serpente, gazouille au pied des hauteurs