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Expliquera-t-on ces résultats par la multitude de ces mariages d’intérêt qui accouplent souvent la jeune fille au vieillard, ou bien par le rachitisme des enfans nés de ces unions sans amour, par les conséquences de la vie factice des riches ? L’action de ces causes accidentelles est amplement compensée par les soins que la fortune procure. Le rapide épuisement des familles privilégiées a pour raison deux faits : un fait moral, la vanité égoïste des riches qui ne veulent pas déchoir ; un fait physiologique, l’affaiblissement de la fécondité dans les espèces animales ou végétales à mesure que leur organisme se perfectionne.

S’il était vrai, comme le dit Malthus, que la population augmente et décroît nécessairement en proportion de l’aisance des parens, il devrait arriver que les classes où règne l’abondance seraient nécessairement les plus fécondes. C’est précisément le contraire qu’on observe. La contrainte si vainement recommandée à la foule dégradée agit naturellement dans les classes ascendantes. Chez celles-ci, l’égoïsme prudent, l’instinct calculateur intervient jusque dans les plus mystérieuses sollicitations de la nature. Pourquoi le riche bourgeois qui pourrait alimenter dix enfans n’en désire-t-il que deux ? C’est qu’il veut les établir, les élever dans l’échelle sociale au-dessus de lui-même.

La nutrition excessive de ceux qui occupent les positions culminantes n’est pas sans influence, je le répète, sur les phénomènes de la procréation. Admirons la Providence, qui a voulu que les êtres dont l’existence est le plus menacée eussent des chances plus nombreuses de se reproduire. Les plantes cultivées se multiplient beaucoup moins que dans l’état sauvage ; à mesure que l’art du jardinier augmente leur beauté ou leur saveur, elles perdent de leur fécondité : on donne ordinairement moins d’engrais à celles dont on veut conserver la semence. De même dans le règne animal : la vertu prolifique est d’autant moins grande que l’organisation est plus compliquée. On sait dans les fermes qu’il faut amaigrir les sujets destinés à la reproduction. Les races perfectionnées par l’état domestique se propagent avec moins de rapidité ; rendues à l’état sauvage, elles retrouvent leur fécondité naturelle en perdant leurs qualités d’emprunt. L’observation en a été faite en Amérique, où les chiens, les porcs, les bêtes à cornes, importés d’Europe et laissés en liberté, se sont multipliés d’une manière prodigieuse. L’espèce humaine ne fait pas exception à cette loi physiologique. Une nourriture trop succulente prédispose à la stérilité. Chez l’homme de la civilisation, le foyer de l’intelligence ne s’enflamme qu’aux dépens de l’ardeur sensuelle ; l’esprit dévore la chair. On peut résumer ces faits remarquables en disant que tous les êtres de la création perdent en quantité en proportion de ce qu’ils gagnent en qualité. Cette théorie, très ingénieusement développée dans une revue anglaise