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mettre en mouvement. Avec la hiérarchie qui existe parmi les khouan, les moyens de correspondance établis pour la transmission des nouvelles et des ordres, les réunions pieuses où on s’excite au nom de la vraie foi, une consigne du chef mystérieusement reçue devient un complot, et tout à coup une explosion éclate au milieu d’une apparente sécurité.

Nous avons vu que deux corporations ne sont pas à craindre pour nous : les Aïssaoua, parce qu’ils sont ridicules ; les frères de Hansali, parce que leur chef est dans nos mains. Sur les cinq autres ordres connus, il en est trois qui ne sympathisent pas avec Abd-el-Kader : les puissans frères de Mouleï-Taïeb, parce qu’ils prétendent à la souveraineté ; les frères de Tsidjani, parce qu’ils ont une rancune personnelle contre l’émir ; les farouches Derkaoua, parce qu’ils sont ennemis de tout le monde. Une connaissance exacte des traditions, des statuts, des intérêts, des préjugés de ces différens ordres, permettrait peut-être de les neutraliser en les opposant les uns aux autres. Un secrétaire de l’empereur de Maroc disait récemment au plénipotentiaire français : « Vous feriez bien plus sur les Arabes avec des médecins et des marabouts qu’avec des canons et des fusils. » Le côté sensible des mœurs barbares est en effet l’instinct religieux. Une surveillance discrète exercée sur les confréries, des intelligences au moyen desquelles on surprendrait les préceptes transmis aux khouan par leurs mystérieux khalifa, des présens adressés à propos aux chefs, des libéralités faites aux établissemens pieux sous prétexte d’utilité publique, ne seraient pas inutiles à la pacification de l’Algérie. Un système d’extermination, nécessaire peut-être jusqu’ici, ne pourrait se prolonger sans déshonneur pour la France il est temps de songer aux victoires qui seules assurent et légitiment l’occupation d’un pays, à un genre de conquête plus difficile que celle du sol, la conquête des cœurs et des esprits.


A. COCHUT.