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révoltés. On se rappelle que plus d’une fois ils ont mis en péril la domination des Turcs. Les embûches, les coups de main audacieux, ces attaques désespérées qui éclatent tout à coup contre nous comme des accès de rage, sont ordinairement fomentés par quelque Derkaoui. Telle fut, le 30 juin 1845, la folle tentative des malheureux qui s’introduisirent, avec des armes cachées, dans le poste français de Sidi-Bel-Abbès, et qui tous, au nombre de cinquante-huit, trouvèrent la mort après avoir fait quelques victimes.

Un de nos ennemis les plus dangereux est un marabout Derkaoui nommé Mouleï-Schekfa. D’un geste, d’un mot, ce petit despote remue les montagnes de la Kabylie, et en fait sortir des guerriers. C’est auprès de cet homme insidieux que les déserteurs de l’armée française vont ordinairement chercher un refuge. Mouleï-Schekfa ne néglige rien pour séduire ces renégats, il les emploie à préparer les armes et les munitions qu’il amasse dans la prévision de la guerre sainte. N’oubliant pas d’ailleurs sa satisfaction personnelle, il a trouvé moyen de se faire bâtir avec leur secours une grande et belle habitation.

Quoique le fanatisme des Derkaoua ait souvent fait couler le sang français, il ne serait pas impossible que ces mêmes hommes devinssent pour nous d’utiles auxiliaires. Abd-el-Kader, en qualité d’émir-el-moumenin, ou prince des croyans, qu’il se donne, leur est presque aussi odieux que les conquérans étrangers. Ils oublient que cet émir est le fils de Mâhi-ed-Din, c’est-à-dire d’un de leurs plus grands marabouts, d’un homme qui aurait été élevé de préférence au commandement général de la guerre sainte contre les Français, si sa qualité de Derkaoui ne lui avait pas fait un devoir de repousser jusqu’à l’apparence de la souveraineté. A diverses reprises, les Derkaoua se sont armés contre l’émir. Frère et cousin de l’usurpateur, les deux principaux chefs de l’ordre consultent moins la voix du sang que leurs sympathies religieuses. Ils observent Abd-el-Kader avec des yeux défians, et, s’ils ne provoquent pas contre lui une levée de boucliers, c’est en considération du mal qu’il peut encore faire aux Français.

Je ne crois pas nécessaire d’insister sur l’importance des faits qui viennent d’être révélés. S’il n’est pas encore possible de déterminer avec exactitude la part que prennent les différens ordres musulmans aux mouvemens de l’Algérie, on ne peut méconnaître leur influence. Il est à remarquer que la résistance dans les diverses régions de l’Afrique française a toujours été en proportion du nombre des khouan, et que le théâtre de la dernière insurrection, la province d’Oran, qui n’a jamais été parfaitement pacifiée, est précisément celle dont presque tous les habitans appartiennent aux confréries. Ces associations sont des cadres d’armée tout formés qu’une volonté énergique et habile peut